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chœur, la double rose de la façade et les charmantes lancettes de la nef et des transepts. Les lourds cintres d’en bas se brisent en arcs aigus ; les gros piliers massifs se résolvent en faisceaux de colonnes délicates ; une galerie court à mi-hauteur et s’ajoure au pourtour du chœur en un triforium aux trèfles élégants. Les proportions sont si exactes qu’on les dirait produites par la pression d’une matière élastique, chargée en bas et libre en haut. Ainsi les sensations se doublent mutuellement et la radieuse église ne serait pas tout ce qu’elle est, sans le sourd accompagnement et la basse profonde que l’église inférieure apporte à son concert. C’est à elles deux seulement qu’elles font leur harmonie. Chacune, prise à part, pourrait n’être qu’un morceau médiocre, et il n’en manque pas ailleurs qu’on aurait le droit de leur préférer ; mais c’est leur union et leur intime soudure qui en font un chef-d’œuvre.

Ce chef-d’œuvre a-t-il, en outre, une valeur idéale et un sens symbolique ? Faut-il y voir une sorte d’allégorie de pierre, une représentation de l’Église souffrante et de l’Église triomphante, une espèce de diptyque dantesque sur le Purgatoire et le Ciel ? Évidemment, rien ne s’y oppose ; mais on peut affirmer que l’artiste n’y a point songé[1]. Le moyen âge n’a pas pensé partout par hiéroglyphes. Il ne s’agissait pour l’auteur que d’utiliser un terrain particulièrement inégal et de tirer parti de la

  1. On a proposé également une allégorie des « trois vœux » : mais, jusqu’au XIXe siècle, il n’exista que deux églises. Le moyen âge a fait un grand usage du symbolisme, mais d’un symbolisme très spécial, et qui n’a rien de commun avec ce que nous entendons par là. Par exemple, la déviation de l’axe de certaines cathédrales a passé pour représenter l’inclinaison de la tête du Christ expirant sur la croix : on peut être sûr que cette intention est entièrement étrangère à la pensée des architectes. Il faut, dans ce genre d’explications, se garder de substituer notre tour d’esprit moderne à celui du moyen âge. N’a-t-on pas cru reconnaître, dans les sculptures du portail de Notre-Dame de Paris, tout le système de la cabale et les symboles secrets d’une religion magique ?