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caine, est une philosophie, une tendre religion. La morale de la pauvreté est la morale de l’amour. Avouons-le : avec nos idées de confort et de bien-être, quel gaspillage, quel massacre nous faisons de la vie ! Quel gâchis des choses précieuses ! La crainte de profaner, d’abuser, de détruire ; l’économie, la précaution, le respect du don divin dans les moindres créatures, formaient la plus utile des leçons : elles enseignaient le prix incomparable de l’existence, en relevaient à l’infini la valeur et la dignité. Le saint, le fou d’amour, qui ne se passait de tout que pour mieux tout chérir ; celui qui de ses doigts délicats transportait le vermisseau sur le bord du chemin, afin qu’il ne courût pas le risque d’être broyé ; celui qui délivrait le lièvre pris au collet et l’instruisait fraternellement à ne plus se faire prendre ; qui, en se lavant les mains, prenait soin que les gouttes rejaillissent à terre de façon que leur pureté n’en reçût pas de souillure ; qui laissait son manteau brûler pour ne pas souffler une étincelle, et qui jamais sans regret ne put voir une lumière s’éteindre, — celui-là faisait mieux que de nous donner la terre : il y ramenait la poésie.

Ah ! je comprends le chagrin de ceux qui avaient été les témoins de ces choses, et qui assistaient à leur fin. Les compagnons de Rivo Torto, de Sainte-Marie-des-Anges, pouvaient-ils se résigner à voir s’évanouir l’œuvre de l’enchanteur ? Aujourd’hui encore, l’idylle de la Portioncule parfume ces contrées et répand sur l’Ombrie on ne sait quelle atmosphère qui rappelle la Galilée. Ces petits ermitages des premiers solitaires, leurs misérables huttes de boue et de roseaux, les parcs où ils gîtaient sans même une clôture, entre une haie et un fossé, sont des lieux saints, les lieux où le Père céleste a été approché de plus près. On vit là des spectacles comme il ne s’en était pas vu depuis la multiplication