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Vaudois, des Humiliés de Lombardie, des Pauvres catholiques de Durand de Huesca, des Béguins, des Béghards du Nord. Partout, à cette heure de crise où le monde se renouvelle et dépouille laborieusement sa carapace féodale, le malaise et l’angoisse sociale prennent une forme religieuse.

Deux traits dominent cette singulière époque du moyen âge : l’un est, selon un mot heureux[1], sa « puissance d’affinité » : il semble que les hommes, surtout les humbles, les petits, le popolo minuto, le « peuple maigre », comme on l’appelle, comprenne tout à coup que ses maux lui pèseront moins, s’ils sont mis en commun : chacun se décharge de son fardeau, prend une part de celui des autres, mais il s’est soulagé du plus lourd, qui est le sien : en perdant sa solitude, la vie déjà commence à être plus supportable. Le second trait est un esprit de sacrifice et de pénitence, une soif étrange de larmes, la croyance mystique en la vertu du renoncement, du dénûment, de la pauvreté comme solution suprême à toutes les difficultés, aux impossibilités inextricables de la vie. Ce monde est une énigme, une cruelle impasse, une bassefosse d’ambitions, d’égoïsmes, de cupidités, où les appétits se dévorent, où les passions s’entre-heurtent, où les plus forts piétinent et écrasent les faibles : seule, l’expiation librement acceptée, la souffrance volontaire, contient le mot du problème et la clef de la délivrance. L’erreur, c’est le désir de primer, de jouir, c’est la concupiscence du luxe et de la chair, l’orgueil diabolique de la vie : nulle issue au monde, que de renoncer au monde, de ruiner la vieille et mauvaise illusion et, à la place de l’antique idole exorcisée, de diviniser la douleur.

Telle est la religion très simple et très touchante, un

  1. Du P. Mandonnet, Cf. ses Origines de l’Ordo de Pœnitentia, Fribourg, 1898.