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rendre comme pas un la vie de l’épiderme et la pulpe de la chair : pourquoi ne serait-ce pas ce même amour de la fleur humaine qui inspire à l’artiste l’effroi de la dissolution ?

Corps féminin qui tant es tendre,
Poli, soüef et précieux


n’est-ce pas l’auteur de ces vers qui a décrit mieux qu’aucun autre la souterraine horreur et les secrets innommables qui se passent dans le caveau ?

Un tableau du même Bernin, peint au soir de sa longue vie, n’est plus connu que par une estampe. Elle représente le Christ en croix, et des cinq plaies du crucifié s’épanche un flot de sang qui empourpre la terre. « Dans cette œuvre, écrit le vieillard, j’ai noyé mes péchés ; la justice de Dieu ne pourra les retrouver que dans le sang de son fils[1]. » C’est le mot du poète :

Mais dessus quel endroit tombera ton tonnerre,
Qui ne soit tout couvert du sang de Jésus-Christ ?

Mais c’est aussi l’idée de ces Bains de sang dont je vous ai décrit un jour l’affreuse poésie. Voilà donc deux motifs d’un christianisme exaspéré, portant toutes les marques de l’art du xve siècle, et qui reparaissent subitement, cent cinquante ans plus tard, chez l’artiste italien le plus amoureux de la vie. On le croit tout au

  1. Fraschetti, loc. cit. ; Marcel Reymond, loc. cit., p. 158. — Cf. dans Bossuet un développement analogue, Panégyrique de saint François, dans les Œuvres oratoires, édit. Lebarq, t. I, p. 208-209 : « Regardez ces bienheureux soldats du Sauveur, avec quelle contenance ils allaient se présenter au supplice. Une sainte et divine joie éclatait dans leurs yeux et sur leurs visages : c’est qu’ils considéraient en esprit ces torrents de sang de Jésus, qui se débordaient sur leurs âmes par une inondation merveilleuse ».