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maigre compagnon est notre vieille connaissance, et vous retrouvez le meneur de la danse macabre. Les Jésuites, en effet, avaient repris l’idée à leurs prédécesseurs : on voit un Triomphe de la Mort organisé par eux, dans les rues de Palerme, en 1563[1]. — On s’étonne d’un pareil écart chez un maître dont le ciseau sut

    portant le médaillon d’Alexandre Veltrini. Fraschetti. Il Bernini, Milan, 1900, p. 82-84.

  1. P. Vigo, Le Danze macabre in Italia, Bergame, 1901, p. 76. — Danse des morts peinte en 1615 au Gesù de Lucerne ; en 1631, au Pont des Moulins de la même ville. Dufour, la Danse macabre des Innocents, 1874, p. 181.

    La persistance du genre macabre, sous l’influence des Mendiants, s’observe d’ailleurs pendant toute la durée du xviie siècle. Un exemple typique est celui des Pénitents Blancs d’Avignon. Cette confrérie se fonde en 1527, sous le titre des Cinq Plaies de N.-S J.-C. Sa chapelle, consacrée en 1559, est une dépendance de l’église des Jacobins ; elle fait partie de leur couvent. On y accède par le cimetière. Un riche vestibule décoré de camaïeux par Simon de Châlons, présente les douze apôtres (ou les douze prophètes ?) en face des douze Sibylles. Après ce préambule, si on jette un coup d’œil dans l’intérieur de la chapelle, un frisson vous saisit : toute une nef, une longue voûte de cinquante mètres et large de dix, offrent l’aspect d’un vague et terrible ossuaire. Partout des crânes, des vertèbres, des ossements confus, présentent leurs formes sépulcrales et leurs images de deuil. Toute la structure de l’édifice, avec une débauche de romantisme funèbre, imite celle du squelette : les fémurs, les grosses pièces de la charpente humaine, composent les pilastres ; les côtes forment les arceaux, la carcasse de la voûte. Des mosaïques de phalanges, les menus os des mains, des pieds, décrivent des sujets lugubres. Nulle part on ne voit un pareil luxe de fantaisies funéraires. Cela se poursuit dans tout le détail de la décoration ; un pénitent repose dans un sarcophage, espèce de panier en vannerie de tibias avec serrures d’omoplates ; plus loin, c’est un tombeau orné d’un chapelet de rotules, et sur lequel un couple de squelettes, assis, les jambes pendantes, brandissent faux et sablier. On croit sentir le voisinage de ces champs de bataille où Marius défit les Cimbres et où le carnage fut tel que, pendant des siècles, le paysan put faire avec des os humains la clôture de son champ.

    Charles IX en 1564, puis Henri III, dix ans plus tard, s’associèrent à la confrérie des Pénitents Blancs d’Avignon. De là l’institution analogue que ce dernier prince tenta d’établir à Paris, sous le titre d’Association Notre-Dame. On sait combien cette tête malade, romanesque et dégénérée, était encline aux idées et aux rêves macabres. Les livres de sa bibliothèque portent des reliures sombres semées de têtes de mort : il semble, au contact de ces livres, toucher le hideux papillon, le nocturne bombyx ou le sphinx tête-de-mort, qui flottait dans les rêves de ce malheureux jeune homme, sur le fond ténébreux de ses mélancolies. Sur tout ceci, voir l’abbé A. Chouvet, Histoire de la confrérie des Pénitents blancs d’Avignon, Roubaix, 1904. (Renseignement communiqué par M. André Hallays.)