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admirable, empreinte de toute la majesté des rites monastiques, et de la cordialité émouvante qui perpétue depuis sept siècles à travers deux grands ordres la mémoire d’un accord et le geste d’un baiser.

On dispute — de quoi ne dispute-t-on pas ? — sur la question de savoir à laquelle des deux créations revient le mérite et l’honneur de la priorité. Autre sujet de polémiques : il s’agit cette fois du degré d’originalité relative des deux fondateurs, et de la part d’influence qu’a pu exercer saint François sur l’œuvre de saint Dominique. Pour M. Sabatier, à partir de 1216, et surtout de 1219, cette œuvre n’est plus qu’un reflet de celle de son ami[1]. D’autres vont jusqu’à lui contester la propriété de sa biographie. On le dépouille de sa légende. Celle-ci ne fait, dit-on, que démarquer celle de saint François : on lui prête les mêmes miracles.

  1. Sur cette question, voyez le Saint-Dominique de M. Jean Guiraud, dans la collection : Les Saints, et dans les Mélanges Paul Fabre, son mémoire : Saint Dominique a-t-il copié saint François ?

    Dans cet ordre de choses, on ne doit procéder qu’avec une extrême prudence. Ruskin, dans un joli morceau, commente la fresque de Giotto, à Santa Croce, qui représente saint François au moment où, pour convaincre le sultan, il lui propose de se jeter dans les flammes. Il y a un trait analogue dans la vie de saint Dominique : mais celui-ci, pour persuader les hérétiques, ne jette sur le bûcher que le livre des Évangiles. On sent la différence. Mais Sabatier fait remarquer que l’anecdote reproduite par Giotto n’apparaît pas dans les histoires primitives du saint ; Jacques de Vitry, qui a connu François en Palestine et parle longuement de lui, ignore pareillement le fait. Ne peut-on supposer que les biographes franciscains ont voulu renchérir sur un récit de Constantin d’Orvieto, dans sa Vie de saint Dominique ?

    Il en va de même pour la fameuse vision d’Innocent III, également peinte par Giotto à Assise et dans la prédelle de son tableau du Louvre (si ce tableau est bien de lui). On sait que le pape, au moment de la fondation des Mendiants, aurait vu en songe un inconnu, de taille gigantesque, qui soutenait de son épaule le Latran. Cet inconnu était François, rapporte Celano dans sa Deuxième vie. Mais on prête la même aventure à saint Dominique : on la trouve peinte par Angelico dans la prédelle de ses tableaux du Louvre et de Cortone. Là-dessus, Sir Martin Conway accuse les Dominicains de plagiat. Il se pourrait qu’il fallût faire la critique inverse. La Deuxième vie de Celano, commandée au chapitre de Gênes en 1244, n’a pu, pour diverses raisons, être achevée avant 1247. La Vie de saint Dominique, par Constantin d’Orvieto, a été composée entre 1242 et 1246. Le « plagiaire », on le voit, n’est peut-être pas celui qu’on pense.