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de « genre », secouant les dernières contraintes de l’histoire, et n’en conservant qu’un prétexte pour célébrer, dans un hymne incomparable d’allégresse, la noblesse de la vie terrestre, la gloire et la beauté de la race humaine dans l’entière jouissance des choses et de son être. C’est l’apothéose tranquille de la vie civilisée, l’harmonieux concert de toutes les voluptés décentes, le fruit le plus exquis que la planète ait obtenu de cinquante siècles de culture. Pour la tonalité, la tenue de la gamme sonore dans des proportions inconnues, pour le sourire universel et le chatoiement des timbres, pour la science de l’orchestration pittoresque, la grandeur du décor, des colonnades et des portiques, le piquant des costumes, le mouvement, la vie, la grâce des attitudes, c’est une œuvre qui dépasse l’imagination moderne : tous nos peintres ensemble n’arriveraient pas à former ce rêve inimitable, cette féerie bruissante, belle comme un mirage des Mille et une Nuits, et qui ne pouvait naître qu’en un seul lieu du monde, dans cette Venise, fille des eaux, et qui semble elle-même dormir sur sa lagune comme un étonnant madrépore, comme une création de songe, une fantasmagorie de marbre et de reflets, tenant de la nature de l’air, du nuage et de la mer.

Mais le trait le plus admirable de ces admirables peintures, c’est qu’elles étaient faites pour des réfectoires de couvents. Les Noces de Cana proviennent de Saint-Georges-le-Majeur ; le Repas chez Simon, qui est aussi au Louvre, et qui précisément fait l’objet du litige, se trouvait chez les dominicains à San Zanipolo. C’était un genre. Peindre un repas sacré, la Cène ou les Pèlerins d’Emmaüs, devant les yeux des frères, pour leur rappeler le sens spirituel de la vie, dans l’opération même la plus animale, c’était une belle idée, dont l’origine semble probablement dominicaine, et dont on trouve des