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ligence et plus de sympathie. Peut-être exagère-t-il un peu en sens inverse, et voit-il partout trop d’arcanes et de rébus : mais cela vaut encore mieux que l’opinion courante, qui ne considère à Venise que le luxe de la palette et l’opulence charnelle.

Un seul artiste fait exception : c’est ce Paolo Galiari, surnommé Véronèse, et qu’on prend pour le type du peintre vénitien, bien qu’en réalité, comme son nom l’indique, il soit de l’école d’à côté. On devrait pourtant voir que Véronèse arrive à Venise à vingt-cinq ans, célèbre, et tout formé par une école originale, ayant ses traditions à elle et ses maîtres particuliers, qui ne le cèdent à personne en habileté manuelle et en dextérité. Comme praticiens, depuis Pisanello, les Véronais n’ont peut-être pas leurs pareils ; ils ont des dons presque « japonais » d’observateurs et de coloristes : ce sont des gens pour qui le monde extérieur existe, Véronèse transporte à Venise ces aptitudes spéciales, ces magnifiques habitudes de l’œil et de la main, avec un tour splendide de l’imagination, une vision naturellement superbe et fastueuse, qui n’ont jamais été qu’à lui et font de lui, en ce sens, le maître sans égal.

J’ai l’air d’être loin de mon sujet, et j’y touche. Vous allez voir comment cet art de Véronèse faillit lui attirer à Venise une mauvaise affaire, et lui mit un beau jour l’Inquisition sur les bras. Le fait est instructif ; il marque dans l’histoire un « coude » ou un tournant.

De tous les Véronèse du monde, il n’y en a pas de plus beaux que ceux que nous avons au Louvre. Comme tableau idéal de la vie élégante, comme peinture d’une existence grandiose et patricienne, comme vision d’un univers à la fois familier et aristocratique, réel et romanesque, poétique et vivant, rien n’est au-dessus des Noces de Cana. C’est l’épanouissement suprême de la peinture