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moyen de spiritualiser ou de transformer les choses, et que les dessinateurs en ont le monopole. Je remarque toutefois que si l’art vénitien présente peu de grands ensembles philosophiques, il n’en a pas moins eu le goût vif du symbole. On discute encore sur le sens de l’allégorie de Titien, l’Amour sacré et l’Amour profane du casino Borghèse : et si nous ne l’entendons plus, ce n’est pas que l’auteur n’ait pas eu son idée, c’est nous qui sommes en défaut[1]. Vasari perdait son latin devant les fresques de Giorgione au Fondaco de’ Tedeschi[2]. Et ce n’est que d’hier qu’on a deviné le sujet des délicieuses miniatures, exécutées par Jean Bellin pour l’encadrement d’un miroir, à l’Académie de Venise[3]. Personne n’a poussé plus loin que Tintoret, avec le don du mouvement et la puissance du visionnaire, le sens des choses spirituelles, le tact du psychologue et le goût des hiéroglyphes. Son plafond de la Scuola de Saint-Roch est aussi rigoureusement ordonné qu’un vitrail du xiiie siècle. Le gentil Carpaccio lui-même fourmille d’intentions et de sous-entendus[4]. Enfin, la preuve qu’on se méprend sur la portée de l’école vénitienne, c’est qu’il n’y en a pas dont Ruskin ait parlé avec plus d’intel-

  1. Cf. Olga von Gerstfeldt, Venus und Violante, dans les Monatshefte für Kunstwissenschaft, octobre 1910.
  2. Vasari, t. IV, p. 96. De même les soi disant Philosophes ou Géomètres de Vienne, qui paraissent représenter l’épisode de Virgile (Enéide, liv. VIII), où Enée, accompagné du vieil Evandre, visite la colline qui sera le Capitole ; de même l’Orage ou la Famille de Giorgione, du palais Giovanelli, qui semble l’illustration d’un passage de Stace : Adraste et Hipsyphile. Cf Herbert Cook, Giorgione, Londres, 1900.
  3. Cf. Ludwig, Italienische Forschungen herausgegeben vom kunsthistorischen Institut in Florenz, Berlin, 1906 ; Giovanni Bellinis’ sogenanannte Madonna am See, dans le Jahrb. der Konigl. preuss. Kunstsammlungen, Berlin, 1902 ; Gronau, Die Künstlerfamilie Bellini, Bielefeld, 1909, p. 106 et suiv.
  4. Cf. Ruskin, Saint Mark’s Rest, appendice I : The Shrine of the Slaves et, dans la Revue de l’art de janvier 1910, mon article sur Carpaccio et le paysage vénitien.