Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/348

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pendu à la renverse à la voûte de la Sixtine, on sait qu’il n’avait d’autre lecture que la Bible et Savonarole[1]. Il se nourrissait ainsi d’une atmosphère prophétique. Son âme violente agitait sans répit des visions tragiques. Elle s’exaltait continuellement par des images menaçantes. L’idée fixe des vengeances célestes l’emplissait d’une terreur sacrée. À relire, au bruit lointain de l’invasion française, les sermons sur Isaïe et sur Ezéchiel, le patriote florentin sentait renaître en son cœur les paniques qui naguère consternaient son peuple à la voix du prêcheur de Ferrare ; ou bien il était soulevé d’un brûlant messianisme, et il peignait en traits sublimes les Délivrances d’Israël. Je ne veux pas trop insister : jamais on ne tirera d’un texte, quel qu’il soit, le génie le plus indépendant, le plus individuel qui ait été au monde.

Ce qui émeut chez Michel-Ange, c’est le spectacle d’un esprit en qui se combattent toutes les forces ennemies de la Renaissance ; c’est la rencontre, dans le même homme, d’une puissance plastique égale à celle de Phidias, d’une maîtrise souveraine sur la nature, jointe à la haine de la nature et à un furieux désir de l’infini ; c’est la forme antique contrainte à l’expression de l’âme la plus tourmentée, la plus trouble et la plus mécontente de tous les arts connus. Ce mélange inouï de l’héroïsme et du désespoir, du pessimisme et de l’amour du beau, tient évidemment trop au caractère du maître pour s’expliquer par une influence étrangère. Et pourtant, pour si peu que soit Savonarole dans la formation religieuse du grand artiste, ne lui nions pas sa part : il y a un peu de son souffle dans l’espèce de simoun, dans le vent d’épou-

  1. « Savonarole, al quale egli (Michel-Ange) ha sempre avuta grande affezione, restandogli ancor nella mente la memoria della sua viva voce ». Condivi, Vita di Michel-Angelo Buonarrotti, Rome, 1553, ch. lv ; édit. Frey, Sammlung ausgewaehlter Biographien Vasaris, t. II. Cf. Klaczko, Rome et la Renaissance, 2e édit., 1902, p. 340 et suiv.