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les noms de neuf autres sibylles[1] ; il en ajouta deux pour compléter le nombre de douze et en faire le pendant historique des prophètes. Chacune reçut un phylactère et des paroles énigmatiques, des oracles se rapportant à l’avènement d’un nouvel ordre de choses. Ces femmes mystérieuses, ces voix qui sortent tout à coup de tous les coins du monde, des bords de l’Hellespont ou des antres de Cumes, des sables de la Libye, frappèrent les esprits. Elles rétablissaient d’une manière concrète l’unité de l’histoire, l’idée majestueuse d’un programme divin qui se réalise dans le monde par la succession des peuples et la chute des empires. Elles jalonnaient l’avenue de siècles par où devait passer le Christ. Leurs figures étranges furent peintes au Vatican par Pintoricchio, et Michel-Ange les suspendit à la voûte de la Sixtine[2].

  1. Discordantiae nonnullae inter sanctum Heronymum et Augustinum, par Filippo Barbieri, 1481. La dissertation sur les Sibylles n’est qu’un des différents essais de ce recueil, auquel l’imprimeur a donné le titre du premier. Cf. Mâle, Quomodo Sibyllas ; Quétif et Echard, t. I, p. 873.

    Les dix Sibylles de Lactance, nommées d’après Varron, se retrouvent dans Saint-Augustin, Isidore de Séville, Bédé le Vénérable et dans la grande encyclopédie dominicaine de Vincent de Beauvais. C’est de là qu’elles ont passé dans l’art, aux magnifiques stalles de la cathédrale d’Ulm (1469-1474), aux Graffiti du pavé de la cathédrale de Sienne (1482-1483. Cf. Hobart Cust, The Pavement Masters of Siena, Londres, 1901, p. 31 et suiv.) et aux fresques de Pérugin au Cambio de Pérouse (1499). Le livre de Lactance, De divina institutione, fut le premier écrit imprimé en Italie, en 1465, par les presses de Subiaco ; six éditions nouvelles parurent de 1468 à 1478. Marsile Ficin (De Christ, relig., ch. xxv), ne connaît encore que dix Sibylles.

    Les deux figures ajoutées par Barbieri sont la Sibylle Agrippa et la Sibylle Europe. L’auteur décrit soigneusement leur âge, leur visage, leur costume. Mais l’idée féconde fut de les mettre en parallèle avec les douze prophètes. Le théâtre s’empara tout de suite de ce motif. Un petit mystère italien sur l’Annonciation, par le poète florentin Peo Belcari (d’Ancona, Sacre rappresentazioni, 1872, t. I, p. 167), les met déjà en scène. M. Mâle a montré que les fameuses gravures de Baccio Baldini sur les prophètes et les Sibylles ne sont autre chose que les personnages de ce mystère. Gazette des Beaux-Arts, 1906, t. I, p. 89 et suiv.

  2. Autres représentations : à la Trinité de Florence, par Ghirlandajo (1485) ; au tombeau de Sixte IV, par Pollajuolo (1493) ; à Spello, dans l’église de Sainte Marie-Majeure, par Pintoricchio (1501) ; à S. Giovanni de Tivoli, par un maître inconnu (1509) ; à Rome, à la Minerve, à S. Pietro-in-Montorio, etc.