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au contenu », l’idée de la beauté en un mot, avec ce qu’elle a de divin et ce qu’elle a d’infernal, ont été la substance du génie de la Renaissance, l’héritage qu’elle laisse au monde et la cause éternelle de la fascination et de l’éblouissement qu’elle exerce toujours sur la pensée moderne.

Mais c’est ce qu’un chrétien ne saurait accepter ! Force lui est ici de haïr et de condamner. Peu importe dès lors que Savonarole souhaitât une beauté religieuse : feuilletez, compulsez ses sermons en tout sens, il en ressortira toujours qu’il conçoit l’art subordonné à quelque chose de supérieur, qu’il le soumet à la vertu, et fait de la beauté en dernière analyse une manifestation morale. Pour lui, la beauté vient de l’âme. L’âme transfigure le visage. Une physionomie, même laide, si elle respire la sainteté, sera toujours aimable. Un ange apparaît dans le gueux disgracié qui prie. De deux femmes, également belles, l’une pure, l’autre dissolue, le lustre de la première attire tous les regards[1]. Ces idées éclatent en propositions d’un idéalisme exalté.

« La beauté de l’homme et de la femme est d’autant plus parfaite qu’elle se rapproche davantage de la Beauté première. Mais, dites-vous, je voudrais savoir ce que c’est que la beauté ? La beauté ne consiste pas seulement dans les couleurs. C’est une qualité qui résulte de la proportion, de l’harmonie des membres et du reste du corps. Vous ne dites pas qu’une femme est belle parce qu’elle a un beau nez et de belles mains, mais parce que tout chez elle est bien proportionné. D’où vient donc cette beauté ? Si vous regardez bien, vous verrez qu’elle vient de l’âme. En effet, dès que l’âme a disparu, le corps devient pâle, méconnaissable ; sa beauté l’abandonne. De même, quand un artiste peint une figure d’après nature, son ouvrage est toujours moins beau que

  1. Carême sur Amos et Zacharie, sermon XXIV. Venise, 1519, f° 117.