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conque, naviguant sur la mer ourlée de vaguelettes, l’inquiète et fiévreuse Vénus de Botticelli ; moins saines et moins païennes, dansent les Grâces exsangues de sa Primavera. Mais qu’un pareil épithalame, que ces images d’un savant et sensuel paganisme, sortent d’une imagination de chrétien et de moine, quel signe des temps[1] ! Ne comprend-on pas que quelqu’un ait jeté le

    « En cette ceinture étaient entaillés en demi-bosse plusieurs petits monstres marins, nageans dedans une eau, contrefaits en forme d’hommes depuis le nombril en amont, le demeurant finissant en queues de poissons entortillées, sur lesquelles étaient assises aucunes femmes nues, de la même nature et figure, embrassant les monstres, et en semblable embrassées d’eux. Les uns soufflaient en buccines faites de conques de limaces, les autres tenaient des instruments étranges et fantastiques à merveilles. Plusieurs y en avait couronnés de la fleur et herbe de nymphée, dite par les Français blanc ou jaunet d’eau, et par les Arabes nénufar, assis en charriots faits de grandes coquilles de mer tirés par des dauphins. Aucuns étaient chargés de corbeilles pleines de fruits, les autres portaient des cornes d’abondance. Vous en eussiez vu qui s’entrebattaient de poignées de jonc et de roseaux, autres ceints de chardons et montés sur chevaux marins, faisant boucliers de coques de tortues, tous différents en actes et en formes, même faisant des efforts si vivement exprimés, qu’on les voyait presque mouvoir. » Ibid., f° 18 v°.

    Tout cela, encore une fois, était écrit par un religieux, quelques années avant la Giostra de Politien. On songe à l’alexandrinisme exquis des Noces de Thétis et de Pelée. Que dire encore de ces statues, « si parfaitement entaillées en leurs mouvements et linges volants », et n’est-ce pas, en une ligne, un bas-relief d’Agostino di Duccio ? Pour finir, je citerai ce petit passage du Bain des Nymphes : on y sentira mieux qu’ailleurs le goût nouveau de la beauté. Les baigneuses quittent leurs tuniques transparentes : « Et sans aucun respect de honte, me permirent librement voir leurs personnes toutes nues, blanches et délicates le possible, sauf toutefois l’honnêteté, qui par elles fut toujours gardée ». Quoi de plus italien ? C’est l’idée de la nature droite, conçue sans péché, d’un « état de grâce » naturel. Comparez cela au Bain de sang de Bellegambe !

  1. Je me suis excusé, une fois pour toutes, d’être incomplet. Je me borne à indiquer ici le traité de Frà Luca Pacioli, De divina proportione, livre confus et bizarre, pour lequel Léonard de Vinci exécuta quelques dessins ; l’auteur écrivait à Milan en 1498, mais le livre fut publié à Venise, en 1509. Cf. éd. Winterberg, Vienne, 1889 ; Mûntz, Hist. de l art pendant la Renaissance, t. II, p. 186-189. Il est assez curieux d’y voir un franciscain développer les idées de la géométrie pythagoricienne de Vitruve. — Voir également le Vitruve de Frà Giocondo (Venise, 1511), le savant philologue, critique, éditeur, ingénieur et architecte dominicain, rival en son temps de Bramante, et auteur présumé du magique et riant Palazzo del Consiglio à Vérone. Cf. sur ce grand artiste : Marchese, Memorie, t. II, p. 187-230 ; de Geymüller, Cento disegni inediti… di frà Giovanni Giocondo, Florence, 1882 ; Nolhac, Courrier de l’art, 9 mars 1888, p. 78 ; Müntz, loc. cit., p. 431 et suiv. —