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tômes gothiques, d’expulser l’étranger, le forestière. On donnait la main aux ancêtres : on renouait avec les Lares, avec les Romains de Tite-Live.

Ce fut bien autre chose quand on vit arriver, en 1439, pour le concile de Florence, toute la cour de l’empereur grec et le patriarche de Constantinople, avec leurs équipages, leurs costumes exotiques, leurs figures maigres et fines, leurs profils de médailles. On voit ce défilé mirifique, peint par Benozzo Gozzoli, dans la chapelle de l’ancien palais des Médicis : le cortège des Paléologue y représente celui des Mages[1]. On put croire un instant que le vieux schisme grec allait se rallier à Rome et faire cause commune contre le musulman. Le jeune basileus semblait Alexandre en personne. Après Rome, on retrouvait la Grèce. On se disait : « Ils n’ont pas changé depuis Périclès ! »

De cet état d’esprit sort un livre bizarre, un des plus célèbres du siècle, et, comme il arrive souvent, un des plus mal connus et des plus mystérieux. C’est l’étrange roman appelé dans le titre original : Hypnerotomachia Poliphili, et plus simplement en français, le Songe de Poliphile. Rabelais traduit : le Songe d’amours[2]. Le livre a paru à Venise dans la dernière année du siècle, mais il était écrit depuis trente ou trente-cinq ans, sans qu’on puisse expliquer la cause de ce retard. Il faut l’attribuer sans doute aux frais de l’exécution : le Songe de Poliphile est une des plus luxueuses impressions aldines. On le recherche aujourd’hui à cause de ses gravures ;

  1. Peint en 1459. Cf. Mengin, Benozzo Gozzoli, 1909, p. 56 ; voir aussi l’Adoration des Mages de Frà Angelico, donnée à Eugène IV en 1442 (Cochin, loc. cit., p. 210). — On sait que c’est à l’occasion du concile de Florence que Pisanello fondit sa première médaille, celle de Paléologue. Cf. Babelon, dans l’Histoire de l’Art de M. André Michel, t. III, p. 906 et suiv. et André Michel, t. IV, p. 138 et suiv.
  2. Gargantua, ch. ix.