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gories. Il est le plus sincère des paysagistes de son temps. Nul n’a rendu mieux que lui quelques aspects de la nature florentine, l’effet de deux cyprès noirs au bord d’une colline d’améthyste. C’est en vain que l’on cherche à le rejeter dans le moyen âge. Il n’en a ni le tour d’esprit théologique, ni le sentiment douloureux : ce n’est ni un idéologue, ni un dramaturge passionné. Rien de plus placide que ses légendes de martyrs. Même quand il peint le Crucifix, il ne donne pas au Christ cette silhouette tragique, cette forme d’Y qu’affectionnent nos peintres du Nord, et qui frappe chez eux comme un hiéroglyphe de douleur : les bras du crucifié planent comme deux ailes, dans un geste de clémence et de bénédiction.

Cette œuvre entière exprime la joie et la beauté, la noblesse, la dignité charmante de la vie. Cette félicité est la marque particulière de l’époque. Chacun se loue de l’existence, et rend grâces au Ciel d’être venu au monde dans l’âge d’or. Peut-être n’a-t-on jamais revu pareille chose, un moment d’optimisme et de contentement général, où tous sont satisfaits du sort, où tout un peuple renaît à la douceur de vivre[1]. Et comme cela se comprend ! Quel épanouissement de grâce ! Ghiberti cisèle les portes du baptistère, Brunelleschi élève sa sublime coupole, Masaccio peint au Carmine, Gentile et Masolino rivalisent de chefs-d’œuvre[2]. Moment fugitif,

  1. Cf. J. Burckhardt, La Civilisation en Italie au temps de la Renaissance, trad. Schmitt, 1885, t. II, p. 67 ; — Cochin, loc. cit., p. 158. Le vieux Bernardo Rucellai, à la fin de ses jours, énumérant tous les biens dont le Ciel l’a comblé, achève ainsi ce Te Deum : « Je remercie encore Dieu de m’avoir donné l’être dans l’âge présent ; les bons juges le tiennent pour le plus grand qui ait jamais paru en notre ville de Florence depuis qu’elle est construite…, car c’est l’âge du magnifique citoyen Cosme, fils de Jean de Médicis, etc. ». Cf. encore, un peu plus tard, l’inscription magnifique des fresques de Ghirlandajo à Sainte-Marie-Nouvelle (1490), Hauvette, Ghirlandajo, 1908, p. 15 et 126.
  2. La première porte de Ghiberti est achevée en 1422 ; en 1423, l’Adoration des Mages de Gentile da Fabriano ; en 1425, commencements des travaux de