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plus irisés et les plus chatoyants des choses, tel est l’aspect sous lequel le monde apparaît à cette âme naturellement radieuse.

D’où vient ce préjugé d’École, que le dessin est l’instrument idéaliste par excellence, et que le coloris est l’élément sensuel et matériel du métier ? Allez au Louvre voir le Couronnement de la Vierge de Fra Angelico[1]. Ce tableau illumine la salle. Il est saturé d’outremers[2], de roses framboise, de verts émeraude, de vermillons purs, d’oranges, de lilas : toutes les teintes du prisme y jouent bord à bord, irritées par de stridents contacts, et comme surexcitées par les cymbales d’or de cinquante auréoles, dans un fortissimo de notes suraiguës. Impossible de rêver palette plus entière : et quoi de plus céleste que cette vision sans ombres ? Regardez maintenant, sur la prédelle, la vie de saint Dominique : après cette page à grand orchestre, des épisodes terre-à-terre, des scènes de la rue ou de l’intérieur, des anecdotes de couvent ; des blancs, des gris, des noirs, quelques notes très limitées, avec très peu d’écarts : et dans cette gamme étroite, quelle échelle de « valeurs ! » Quel sentiment de l’atmosphère !

Vous verriez à Saint-Marc des choses plus rares encore ; il y a là, dans les cellules, sur les murs blancs, des fresques blanches, une Annonciation, un Couronnement de la Vierge, un Sermon sur la montagne, une Transfiguration qui sont, au point de vue de la tonalité, des merveilles inégalées dans toute la peinture. Ce sont des études en blanc majeur, qui supposent une virtuosité extraordinaire du regard, une aptitude incomparable à

  1. Peint vers 1425 pour le couvent de Fiesole. Cf. Vasari, t. II, p. 511.
  2. Vasari (t. II, p. 507) note très bien cette dominante bleue, fatta con azzuri oltramarini bellissimi, propre à Angelico, et qui donne à la composition un si haut caractère de spiritualité.