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un sou de l’argent qu’il gagnait. Il peignait pour lui-même et pour l’amour de Dieu. Il travaillait sans repentir, sans corrections et sans retouches, du premier coup, sans revenir sur ce qu’il avait fait : cela venait, bien ou mal, comme il plaisait au Ciel, et il y aurait eu de l’orgueil à se tourmenter davantage[1]. Ainsi ce grand artiste, à force d’humilité, échappa à l’un des plus graves écueils de son métier, à ces angoisses du style, à ces affres arides de la forme, qui dessèchent les œuvres de tant de ses confrères. Son art n’est qu’effusion, musique et poésie.

Mais cette naïveté, ce dédain de l’argent, ce mépris des honneurs et des situations, cette absence de toute vanité personnelle, sont-ce là des vertus du peintre ou du chrétien ? Ou sont-elles davantage du saint ou de l’artiste ? Pourquoi Jean de Fiesole me fait-il toujours penser à notre cher Corot[2] ? Celui-là aussi peignait comme on fait sa prière. Un brin d’herbe le jetait en extase. Il disait : « Je travaille pour les petits oiseaux ». Et la sainte ignorance du monde, le désintéressement, le parfait oubli de soi, la divine enfance du cœur, ne font-ils pas le

  1. Vasari, t. II, p. 519.
  2. Cf. à ce propos une observation importante du peintre américain John La Farge, The higher life in Art, New-York, 1908, p. 90 et 168. L’auteur développe cette idée, que le paysage a été, au xixe siècle, la forme originale de la peinture religieuse. De même dans la peinture hollandaise du xviie siècle, si laïque, si bourgeoise, si vide de grandes idées, le seul « penseur », avec Rembrandt, est un paysagiste, Ruysdaël, cf. Fromentin, Les Maîtres d’autrefois, 1876, p. 253 et suiv. — Une transformation analogue s’opère dans la littérature ; le « lyrisme », à partir de Jean-Jacques et de Chateaubriand, devient l’héritier de l’éloquence de la chaire ; et l’émotion religieuse, en se retirant de celle-ci, émigré dans la poésie. Cf. Brunetière, L’Evolution de la poésie lyrique au XIXe siècle, 1894, t. I, p. 90, 129 et suiv. — Pour en revenir à la peinture, comme les mêmes sentiments s’expriment dans la même langue, on sera frappé des rapports que présentent parfois celle d’Angelico et celle de Corot. Ainsi, dans la prédelle du Louvre (la Vie de saint Dominique), toutes les « fabriques », façades blanches ou roses, cloîtres, ciels, rappellent invinciblement la manière naïve, enfantine et puissante, la touche large et grasse des études romaines du maître parisien.