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y a une incompatibilité entre le métier d’artiste et la profession de moine. « Tout ce qu’on ôte aux sens, on le donne à l’esprit ». La formule est de la Mère Agnès, et je la crois irréprochable. Quel art toutefois s’accommoderait de ce jeûne ou de ce carême absolus ? Conçoit-on une peinture qui se passe des sens, et n’ait plus ou moins pour but de réjouir la vue ?

Telle n’est pas, en tout cas, celle d’Angelico. Cette âme charmante rayonne à travers ses ouvrages : on sent qu’elle n’a jamais respiré que la joie. Nulle n’a moins douté de la bonté de la vie. Nulle n’a aperçu le monde sous des couleurs plus obstinément heureuses et brillantes. Il n’y a jamais vu que des saints : n’en était-il pas un lui-même ? La tristesse est la grande ennemie de la sainteté, l’acedia, le spleen, la langueur, le « vague à l’âme », ont toujours été redoutés des maîtres de la vie intérieure. Jamais le démon de l’ennui ne dut tenter Jean de Fiesole. On l’imagine parfaitement gai, de cette gaîté divine qui est le partage des personnes très pures, de l’enfant ou de la jeune fille. Il pleurait pourtant, nous dit-on, et jamais ne put sans fondre en larmes peindre le Crucifix[1] : mais qu’a de commun cette sensibilité idéale du mystique avec nos soucis égoïstes et nos chagrins terrestres ?

C’était une âme d’une candeur, d’une bonhomie ravissantes. À soixante ans, il conservait la simplicité d’un novice. Comme il peignait au Vatican la chapelle de Nicolas V, le pape lui avait fait porter à déjeuner ; mais l’ingénu vieillard se fit conscience de toucher à la viande sans la permission de son prieur[2]. Jamais il ne voulut d’avancement, jamais ne fit une affaire, jamais ne garda

  1. Vasari, t. II, p. 520.
  2. Ibid, p. 519.