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du monde, son cœur s’était ouvert à la beauté des choses ; l’artiste s’était pénétré du charme de la peinture siennoise, si différente de la prose où se traînait à Florence la queue des giottesques. Il sort rafraîchi de ce bain de poésie franciscaine. Car n’est-il pas curieux que les âmes les plus suaves, celles qui remplissent le mieux l’idéal séraphique, un Jacques de Voragine ou un Angelico, appartiennent aux Dominicains ?[1] Tant il est vrai qu’on cherche en vain à opposer ces grandes familles. Le baiser que se donnèrent les pères continue à unir leurs races, et fait naître des fils spirituels de François jusque parmi les enfants du lilial Dominique.

Frère Jean de Fiesole était peintre ; et nous le savons si bien que nous le trouvons tout naturel. La rareté du fait devrait pourtant nous avertir. L’Église a été de tout temps une école d’architectes et de musiciens ; on ne compte pas les enlumineurs et les miniaturistes. Les peintres sont beaucoup moins nombreux. On dirait qu’il

  1. Cf. Wyzewa, la Légende dorée de Jacques de Voragine, 1902, p. v. — Quand parut à Florence Jean de Dominici, le grand « vicaire de l’Observance », un chroniqueur résume ainsi ses impressions : « Un disciple de saint François est revenu au monde ». Ser Lapo Mazzei, cité par Cochin, p. 58. — Angelico a peint plusieurs fois saint François, et toujours avec un respect et une tendresse nouvelle. Ce dominicain est un des peintres les plus exquis de la légende franciscaine.

    C’est pour les franciscains du Bosco ai Frati, près de Caffagiolo, où Cosme de Médicis possédait une villa, que Fra Angelico exécuta le beau rétable aujourd’hui conservé aux offices, et où la Madone apparaît entre des anges et six saints ; Antoine de Padoue et François, Zanobi, patron de Florence, Cosme et Damien, patrons des Médicis, et Saint Pierre martyr, dont la figure est comme la signature de l’artiste dominicain. La prédelle originale est dispersée entre les musées du Vatican (les Stigmates), de Gotha (Saint François devant le sultan) et de Berlin. Les trois panneaux de ce musée représentant la Rencontre de saint François et de saint Dominique, l’Apparition au chapitre d Arles, et les Funérailles de saint François, mériteraient par le sentiment d’être placés sur le même rang que le Sassetta de Chantilly (cf. Klassiker der Kunst, t. XVIII, p. 158-162). Et peut-être, le plus beau de tous les Saints François est-il l’admirable figure placée au pied de la croix, derrière saint Dominique, dans la fresque de la salle capitulaire de San-Marco. C’est cette image incomparable que les Pères Franciscains ont placée comme frontispice à leur belle publication de 1885.