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sens des Arbres de Jessé qu’on voit, dans nos églises enchevêtrer leurs ramures sur les tapisseries, tordre sur les vitraux leurs bras chargés des rois atroces de Juda : cette race de fange et de crimes, cet arbre de luxurieux, d’assassins et d’impies, se termine par une vierge[1]. Symbole magnifique de l’ascension humaine !

Alors, chose surprenante et vraiment admirable, — la fille purifia la mère. Le privilège de l’une remonta jusqu’à l’autre. Vous rappelez-vous le beau Metzys du musée de Bruxelles ?[2] C’est la famille de sainte Anne. On voit la grande aïeule au milieu de ses trois époux et de ses filles, les trois Maries, aux pieds desquelles jouent leurs enfants, Jésus, Jean, les deux Jacques, Simon, Joseph et Jude : tableau patriarcal, empreint de toute la majesté de la tribu et de la tente. L’Allemagne se plut à cette grande scène de famille, moitié intime, moitié épique, et unissant la bonhomie de la peinture de « genre » à la grave poésie des mondes primitifs et des unions bibliques.

Mais les récentes idées sur la surnaturelle pureté de la Vierge firent trouver choquante la trop matérielle humanité de cette image. Il n’était plus possible qu’une créature si parfaite fût la fille d’une mère si charnelle, d’une Juive qui était entrée dans le lit de trois hommes. On modifia la légende. Les trois mariages furent oubliés. Anne parut en tout le reflet de Marie. Il y a des verrières, des gravures du xvie siècle, où toutes les vertus

  1. Mâle, loc. cit., p. 226-227. — En 1525, la confrérie de l’Immaculée Conception, à Toulon, commande un Arbre de Jessé. Bullet. archéol. de la Commission, 1897, p. 36.
  2. Le tableau est de 1509. Le thème de la Heiligesippe semble d’origine allemande. C’est dans l’école de Cologne qu’on en trouve les représentations les plus fréquentes ; c’est en Allemagne que s’accomplit l’idéalisation de la figure de sainte Anne. Elle est l’œuvre du savant Tritenheim (Trithemius), qui publie à Mayence en 1494 son petit traité De laudibus sanctissimae matris Annæ. Cf. Schaumkell, Der Kultus der heiligen Anna am Ausgange Mittelalters, Fribourg, 1893.