Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/289

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la méditation d’un « mystère ». C’était une méthode courte, commode et pratique, pour repasser chaque jour l’enseignement de l’Évangile, le ruminer et s’en incorporer la substance. Le rosaire n’a été promulgué qu’au xve siècle, mais il s’élaborait lentement depuis trois siècles ; il était le résumé de l’œuvre entière des Mendiants[1].

Le succès fut extraordinaire. En cinq ans, la première confrérie du Rosaire, celle de Cologne, passe de six mille adhérents à plus de cinq cent mille. La bannière de la Vierge du Rosaire faillit embrasser toute l’Église[2]. Alors, des méditations ardentes de tout un peuple, — comme un métal chauffé à blanc par des millions d’haleines qui attisent un brasier, — la figure de la Madone sortit plus

  1. Alain de la Roche, en effet, a eu des devanciers. Le rosaire est le terme d’une longue évolution. L’usage du chapelet, emprunté aux Arabes, était connu depuis longtemps : c’est ce qu’on appelait « couronne » ou « patenôtres ». Les patenôtres sont figurées très souvent dans les œuvres d’art. La charmante Madone aux fleurs de pois du musée de Cologne (v. 1390) récite le chapelet. Un chapelet est pendu au mur, au fond de l’admirable Portrait d’un jeune ménage, par Jean van Eyck, à Londres (1434). — Il y a plus. Dès le xiiie siècle, on pratiquait la dévotion des cent cinquante Ave Maria. Césaire d’Heisterbach, Libri VIII miraculorum, III, ch. xxiv et xxxvii ; — Thomas de Cantimpré, Bonum universale de Apibus, part. II, ch. XXIX, n°s 6 et 8. — Cf. Anal. Bolland, 1902, et Holzapfel, loc. cit., ch. V. — Mais l’organisation du rosaire, comme méthode individuelle de méditation et comme société de prière, avec confréries, indulgences, etc., est bien l’œuvre d’Alain de la Roche.
  2. Parmi les œuvres — innombrables — qui s’inspirèrent de la dévotion nouvelle, il faut citer au moins le Rosenkranz de Veit Stoss à Notre-Dame de Nuremberg (aujourd’hui au musée), et surtout l’admirable Ave Maria qui se balance à la voûte de l’église Saint-Laurent. Un grand rosaire ovale, composé de cinquante petites roses, enveloppe le sublime dialogue. Les cinq gros grains sont remplacés par des médaillons qui représentent cinq des sept joies de la Vierge ; les deux autres médaillons sont juchés assez malheureusement, depuis 1825, au-dessus de la couronne. Cette composition poétique fut offerte en 1517 par un riche bourgeois, Hans Tucher ; elle fut imitée en 1521 par Tilmann Riemenschneider à la voûte de l’église de Volkach-sur-le-Mein. Cf. Réau, Peter Vischer, p. 65. — On sait que le tableau commandé à Dürer, en 1506, par les Allemands de Venise, pour leur église de San-Bartolommeo, est une Fête du rosaire ; le tableau est aujourd’hui à Prague. Cf. Thausing, Dürer, p. 265 et suiv. ; Klassiker der Kunst, t. IV, p. 26 et 27.