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À voir ce paria en guenilles errer, sans feu ni lieu, comme font les misérables, la police le prend pour quelque espion ; on vous happe le pauvre diable, on vous le jette en prison. Un matin, au bout de cinq ans, le geôlier qui venait changer l’eau de sa cruche le trouva mort et rayonnant d’une lueur surnaturelle.

Ce héros de la charité, ce saint et jeune vagabond qui avait passé sur la terre comme une douceur et un bienfait, ce modèle de dévouement et de mansuétude, devint sur-le-champ sans rival au ciel des pauvres gens ; le peuple reconnut en lui mieux qu’un protecteur, — un ami. On voit partout sa douce figure[1], ses longs cheveux d’éphèbe sous le chapeau à grands bords, son bourdon, sa chausse déchirée sur l’ulcère de sa cuisse. À peine aimait-on moins que saint Roch son caniche, son « roquet ». Secourable au bétail même, il guérissait de la fièvre le troupeau qui broutait son herbe, la roquette. Que lui fallait-il de plus ? Venise vola son corps[2]. Elle plaça ces reliques enviées dans une Scuola de marbre, qui est la plus glorieuse des maisons de confréries, et que Tintoret illustra de peintures flamboyantes : en sorte qu’après les chefs-d’œuvre du génie populaire, échurent à cette mémoire bénie ceux de l’art le plus savant et le plus inspiré que le monde ait connu.

  1. On montrait encore à Plaisance, au xviie siècle, un portrait de saint Roch, peint, disait la légende, par un gentilhomme que le saint avait ramené à Dieu. C’était saint Gothard, qui se retira ensuite dans la solitude qui porte son nom. Cf. abbé Recluz, Histoire de Saint-Roch, Montpellier, 1858, p. 115.
  2. En 1482. Le corps était à Arles depuis 1372. La Scuola di S. Rocco fut construite par les Lombardi de 1485 à 1533. Tintoret y travailla à partir de 1559 ; son prodigieux Calvaire est de 1565. En 1856, Venise rendit à Montpellier la moitié des restes de saint Roch.