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devint la patronne du soldat. De la tourelle qu’elle porte en main et qui rappelle sa légende, l’artilleur se fit un petit ouvrage de fortification, une « barbette ».

Contre le grand fléau du temps, la peste, reine des épouvantes, on ne manquait pas non plus de toute protection. La Provence avait saint Antoine, la Picardie saint Adrien. Mais à côté de ces saints locaux, il y en a d’européens. Le folklore compare les épidémies à des flèches que décoche un mystérieux archer : tel descend, pareil à la nuit, au premier chant d’Homère, le dieu à l’arc d’argent, et son carquois divin résonne sur son épaule[1]. Or, c’était une croyance que les saints pouvaient guérir les maux dont ils avaient souffert. On invoquait contre les maux de dents sainte Apollonie, qui les avait eues arrachées, contre les maux de ventre saint Erasme, dont on avait dévidé les entrailles. Le ciel était peuplé de ces divins médecins[2]. Saint Sébastien, le noble officier qui avait servi de cible aux flèches de sa troupe, était tout désigné pour écarter celles de la peste. Il avait émoussé sur lui la pointe du mal. Il semblait dire à Dieu : « Seigneur, n’est-ce pas assez de moi ? Faut-il encore d’autres victimes ? N’ai-je pas assez pâti pour épuiser votre colère ? Grâce pour ces innocents qui vous invoquent par mes blessures ![3]»

  1. Cahier, Caractéristiques des saints, t. II, p. 661 ; Perdrizet, la Vierge de Miséricorde, p. 107.
  2. Naturellement, cette croyance fut violemment attaquée par la Renaissance et la Réforme. Cf. Rabelais, Gargantua, ch. xlv ; — Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, ch. xxxviii.
  3. L’idée est très bien exposée par Benozzo Gozzoli, dans une fresque datée de 1464, à San Gimignano. Cf. Perdrizet, loc. cit., p. 113 et pl. XVI, et mon article dans la Revue de l’Art, novembre 1911. — Mariotti (Lettere pittoriche perugine, Pérouse, 1788, p. 55) décrit une fresque analogue, qui se trouvait de son temps dans une église de Pérouse, Santa Croce in borgo S. Sepolcro. Cf. Perdrizet, loc. cit., p. 117. — Un vitrail de 1516, autrefois dans l’église Saint-Laurent de Beauvais, offrait une composition toute semblable. Cf. Mâle, loc. cit., p. 165.