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Saint Eloi est orfèvre, et saint Honoré boulanger. Mais avant d’être boulanger ou d’être orfèvre, on est chrétien et on est homme. En dehors de sa confrérie professionnelle, l’artisan fait partie d’une confrérie de piété. Dans la première, il veille à ses intérêts matériels, dans la seconde à ses intérêts spirituels. Est enim homo duplex. Ainsi l’homme prend deux patrons selon le double aspect ou le double plan de sa vie, l’un pour ses affaires terrestres, l’autre pour les célestes, l’un pour le temporel, l’autre pour l’éternel.

Quels sont, sous ce nouveau rapport, les grands patrons des confréries ? Ici encore, le choix est dominé par l’idée de la mort. Nous savons quelle place tient cette idée au xve siècle ; j’ai décrit la Danse macabre, le Triomphe de la mort. Mais dans ces poèmes de terreur, c’est le prédicateur qui parle, qui effraye les fidèles et leur crie : « Pénitence ! » Quand les fidèles prient pour eux-mêmes, dressent contre la mort des ex-voto, appellent au secours, cherchent un talisman, ils implorent les saints protecteurs[1].

Il serait injuste de dire que le moyen âge a craint la mort. Ce qu’il craignait, c’était d’être surpris par elle, surpris sans confession, sans prêtre, sans viatique, emporté en sursaut, chargé de toutes les souillures et de tous les péchés de la vie, sans avoir un moment pour se reconnaître et se préparer. La mort subite, la plus douce aux yeux de l’épicurien, celle que se souhaite Montaigne, voilà ce qui fait horreur à cet âge si chrétien. C’était l’imprévu, l’inconnu, le risque infini, — la « male mort ».

  1. Künstle, Die Legende der Drei Lebenden und der Drei Toten und der Totentanz, Fribourg en Brisgau, 1908, p. 89. L’auteur cite en exemple les figures des saints protecteurs peintes après une peste dans l’église de Saint-Goar. Cf. Cahier, Caractéristiques des saints, 1867, t. I, p. 102 et suiv. ; cette dévotion, d’origine allemande, paraît avoir été une dévotion dominicaine. Estampes des Klauber d’Augsbourg, tableau de Cranach à Torga (1505), Cf. Heyck, Lucas Cranach, Leipzig, 1908, p. 10 et 63.