Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/276

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans toute l’Europe, se vénèrent quelques gouttes du fluide sacré ; le sol chrétien est aspergé de ces saintes éclaboussures[1]. Certains tableaux vénitiens montrent un Christ idéal, jeune et pur, comme le plus élégant ivoire, et lançant cinq jets de sang qui sautent de ses cinq plaies ; il s’appuie d’une main à la croix, et l’autre, d’un geste maternel, écarte les lèvres de l’ouverture de son flanc, d’où s’élance le jet principal : des anges multicolores recueillent, à genoux, ce sang dans des calices[2].

On fit un pas de plus ; non content de contempler ce sang, on voulut s’y plonger ; on imagina le Bain de sang ou la Fontaine de vie. Un vitrail à Vendôme, un tableau de Jean Bellegambe à Lille, un somptueux retable dans la chapelle de la Miséricorde, à Oporto, nous montrent ce nouvel épanouissement du thème. La croix apparaît plantée au centre d’une vasque. Le sang qui la remplit à flots s’écoule au-dessous dans une conque ou un bassin plus large ; l’humanité se précipite dans ce bain salutaire et se régénère à l’envi dans cette Jouvence sanglante. Le tableau de Bellegambe est médiocre ; ces néophytes, nus comme des vers, qui barbotent dans une piscine sanguinolente, cette grenouillère mystique, forment une vue peu agréable[3].

  1. Barbier de Montault, Œuvres, t. VII, p. 524 et suiv., et Wechsler, Die Sage von Graal, Halle, 1899, donnent des listes approximatives des reliques du Précieux Sang dans les églises d’Europe. Le sanctuaire le plus fameux est la chapelle de Bruges. Elle fut fondée par Thierry d’Alsace qui apporta l’ampoule en 1150. La confrérie du Saint Sang se créa au xive siècle. La nouvelle église se construisit vers 1480. Cf. Carton, Essai sur l’histoire du Saint Sang, Bruges, 1850 ; — Gilliat Smith, Bruges, Londres, 1902, p. 95 et suiv. On connaît le puissant et l’épineux retable du Précieux Sang, par Tilmann Riemenschneider, dans l’église Saint-Jacques, à Rothenburg sur la Tauber (entre 1499 et 1505). Cf. L. Réau, Peter Vischer, p. 101 et pl. XIII.
  2. Tableaux de Giov. Bellini à Londres, de Carpaccio à Vienne, etc.
  3. Le tableau provient de l’abbaye d’Anchin, qui possédait une relique du Précieux Sang. Cf. Dehaisnes, Jean Bellegambe, 1890, p. 109. — Une remarquable image de la Fontaine de vie est une gravure florentine illustrant une apologie contemporaine de Savonarole : Tractato di maestro Domenico