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sang que la face disparut sous une nappe de pourpre[1]. Tout le long du chemin, on pouvait suivre Jésus à sa piste sanglante. Quand la Vierge embrassa le cadavre descendu de la croix, son visage, de ce baiser, se releva méconnaissable : il était tout poissé et tout souillé de sang.

Tout le moyen âge avait rêvé du Graal, ce vase mystérieux qui passait à certaines heures, comme un soleil couchant, entre les branches magiques des forêts de la Table Ronde, et que seul pouvait conquérir un chevalier au cœur de prêtre et pur comme une vierge. On dirait que le xve siècle a retrouvé le Graal des rêves légendaires.

  1. Cf. Mâle, p. 81-84. — Sur certaines gravures populaires, le Christ est tigré de taches rouges : le sang vous saute aux yeux, comme dans nos illustrés du dimanche à un sou. Des miniatures montrent l’Enfant Jésus déjà tout marbré de plaies : c’est que sa Passion a commencé dès le berceau. Cf. Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, édit. Ristelhuber, t. II, p. 248.

    Il y eut au xive siècle une « Affaire du Précieux Sang ». Les Franciscains prétendaient que le sang de Jésus, en sortant de ses veines, se séparait de sa divinité. Les Dominicains soutenaient qu’il ne pouvait pas perdre sa nature ni ses propriétés divines. Wadding, t. VIII, p. 58, an 1351, n° xiii ; — J.-V. Leclerc, Discours sur l’état des Lettres au XIVe siècle, 2° édit., p. 111 et 143 ; — Mortier, Hist. des Maîtres Généraux, t. III, p. 287 ; — Burckhardt, La Civilisation en Italie au temps de la Renaissance, trad. franç. 1885, t. II, p. 242. — Les flagellants faisaient écho à ces chimères. Ils se battaient pendant trente-trois jours, en mémoire des trente-trois ans du Christ ; leur sang, croyaient-ils, se mêlait à celui du Rédempteur. Chron. de Jean le Bel, édit. Viard et Déprez, t. I, p. 224 et suiv. Cf. Froissart : « Se batoient d’escorgies à neus durs de quir, farsis de petites pointeletes de fier, et se faisoient li auqun entre deux espaules sanier moult vilainnement, et auqunes soies femmes avoient drapelés apparilliés (des linges tout préparés) et requelloient ce sanc et le metoient à lors ieuls et disoient que c’estoit sanc de miracle… » Nulle part ce sanglant délire n’atteint une expression plus extraordinaire que dans la lettre de sainte Catherine, où elle narre à son confesseur la conversion et le supplice de Nicolas Tuldo. C’est le sujet de la fresque troublante de Sodoma, dans la chapelle de la Sainte, à S. Domenico de Sienne. Lettres de sainte Catherine de Sienne, trad. Cartier, 1858, t. II, p. 358 et suiv. — Ces préoccupations sont en germe dès le xiiie siècle. Elles se présentent sous les espèces d’hosties miraculeuses. Le miracle de Bolsène, qui est l’origine de deux chefs-d’œuvre — la cathédrale d’Orvieto et la fresque de Raphaël, — se place en 1263. Son « pendant » parisien, le fameux miracle des Billettes (une hostie poignardée et bouillie par un Juif) advint en 1290. Cf. Corrozet, Antiquités de Paris, 1550, p. 94-95 ; Sauval, t. I, p. 41. — Cf. les étonnantes oraisons sur les Quinze effusions du sang de N.-S. J.-C. (à Paris, pour Pierre Corbault, à l’enseigne du Dauphin).