Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/271

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la Passion vivaient en quelque sorte in abstracto. La liturgie leur chante des hymnes enthousiastes[1]. Au bout de leurs bâtons, les confréries de la Passion les promènent en triomphe, comme la centurie et le manipule romains escortaient leurs enseignes[2]. En art, il en résulte parfois les œuvres les plus bizarres.

À mon premier voyage d’Italie, je débarquai pour mon début à San Gimignano. C’est une petite ville perchée et hérissée de tours comme un râteau. On va voir, dans l’église de Sant-Agostino, une vie du saint patron par Benozzo Gozzoli. Près de l’entrée, en m’en allant, j’avisai une vieille fresque qui m’intrigua. C’était une croix peinte sur fond bleu, et qui soutenait en faisceau la lance et le roseau, le marteau et les échelles, les clous et la couronne d’épines ; mais alentour, dans le champ libre derrière ce trophée, nageaient des signes sans lien, des hiéroglyphes pareils à des découpages d’enfant : un coq chantant sur une colonne ; une lanterne, trois dés, une bourse d’où s’échappait de l’or ; un sabre décollant une oreille d’un visage invisible ; une face aux yeux bandés qu’une main souffletait ; le profil d’un Borée qui soufflait un crachat ; une paire de mains sans corps se lavait sous le filet d’eau qui coulait d’une aiguière. Il était

  1. Voir les Recueils de Daniel, I et II, et de Dreves, IV et V. Cf. Stimulus amoris, p. 74 : « Ecce, apertus est thesaurus divinae sapientiae et suavitatis œternae… O quam beata lancea et beati clavi, qui apertionem hujusmodi facere meruerunt ! O ! si fuissem loco illius lanceae !… » — Cette dévotion semble remonter à saint Bernard. Un hymne qu’on lui attribue (Daniel, IV, p. 224) est une suite d’apostrophes à chacune des parties du corps de Jésus-Christ qui souffrirent pour les hommes. L’hymne achevé, le crucifix devant lequel l’auteur écrivait, détacha sa main droite et embrassa Bernard. Un admirable petit tableau du musée de Nuremberg représente la scène. La même légende fut appliquée à saint François d’Assise. Voir le charmant portrait anonyme du musée de Sienne (xiiie siècle ; reproduit dans la traduction de Joergensen par M. de Wyzewa, pl. III, p. 210). Le motif n’est pas rare au xviie siècle dans l’école espagnole : tableau de Ribalta au musée de Valence et de Murillo (souvent reproduit) au musée de Séville.
  2. Mâle, loc. cit., p. 99.