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statuette du saint dans une guérite, leurs candélabres, leurs flambeaux, tous les objets à leur usage revêtent un caractère d’art. Une miniature ornait la page initiale du livre de leurs statuts ; les glands de leurs ceintures sont des chefs-d’œuvre de passementerie[1]. À Sienne, où la peinture embellissait toute la vie, on conserve des panneaux décorés de figures saintes, et qui formaient la planche de chevet des bières de confréries[2]. Le confrère qui peignait la testa di barra devait mettre son cœur dans les peintures de la civière où il se coucherait à son tour, et dont les images peupleraient les rêves de son dernier sommeil.

Il faut se figurer, si nous le pouvons encore après cent cinquante ans de centralisation, ce qu’était une ville, dans notre Europe du Nord, à la fin du xve siècle. Rouen, par exemple, ville moins abîmée que d’autres, plus fière de son passé, va nous faire entrevoir ce monde disparu. Rien n’y était banal, tout avait une physionomie. Les maisons en lanternes, capricieusement tassées le long des ruelles tournantes, échancraient le ciel du triangle aigu de leurs pignons, et présentaient à l’improviste leurs étages saillants, leurs enseignes, leurs croisées à vitres lenticulaires, leurs façades à pans de bois sculptés, où nichaient au dehors plus de saints qu’au dedans il n’y avait d’âmes ; chaque demeure avait sa personnalité, ses traits, presque sa figure, comme chaque individu son humeur, son visage et sa kyrielle de noms de baptême. Chaque rue était un clan, un état, un métier : il y avait la rue aux bouchers, la rue aux fondeurs, aux drapiers. À chaque pas, au centre de ce dédale, pointait

  1. Ludwig et Molmenti, Carpaccio, édit. française, 1910, p. 84.
  2. Heywood et Olcott, A Guide to Siena, Sienne, 1904, p. 97, 265, 269. Ces bières, dont les plus belles sont celles de la Confrérie de Notre-Dame, se voient dans le sous-sol de l’hôpital de la Scala. D’autres se trouvent à l’église de la Miséricorde.