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Pourtant, nul alcool n’enivra davantage. Le siècle ne s’en rassasie pas. Son grand art, c’est l’art de mourir : tel est le titre d’un de ses albums les plus lus, les plus populaires[1]. Partout le défilé des morts, celui que tous suivent un jour ou l’autre, passa en inclinant les âmes aux méditations graves. Dans cet âge inquiet, la mort est la seule certitude. Non qu’elle rende les esprits lâches ou pusillanimes ; mais elle leur apprend le sérieux de l’existence, le bon usage de l’heure fugitive. De cette pensée, l’épicurien fait son Carpe diem son conseil de mollesse, d’indulgence au plaisir. Elle enseigne au chrétien à ne pas croire à la vie. Il y sent une flétrissure, le ver intérieur. Cette mortelle idée devient le guide, la règle de la conduite morale. À chaque pas, la maigre silhouette se dresse à l’improviste et nous crie : Mémento !

La Danse macabre n’épuise pas la fortune de l’idée. Pendant cent ans, elle se déroule en variantes lugubres. On connaît les sublimes estampes de Dürer, les Amants et la Mort, la Mort et le Chevalier. Le grand Holbein publie ses Images de la mort[2] ; de la mort il fait un

  1. Ars bene moriendi. Sur les différentes éditions, cf. Dutuit, Manuel de l’amateur d’Estampes, t. I, p. 33 et suiv. La plus ancienne paraît dater des environs de 1435. On en ignore l’origine. Mais elle pourrait être française, le texte ayant d’étroits rapports avec un traité analogue de Gerson. Cf. Falk, Centralblatt fur Bibliotheken. 1890, p. 309 ; Mâle, loc. cit., p. 413. — L’ouvrage développe en dix scènes, qui se répondent deux à deux, les alternatives de désespoir et de confiance, de terreur et de félicité qui se passent dans l’âme à ses derniers moments ; ce sont les figures de la fièvre et du délire qui s’agitent autour du lit d’un moribond. Ce livre est trempé des sueurs de l’agonie. Une onzième et dernière image nous montre la tempête calmée et l’âme triomphante. Le corps même se rassérène et s’endort avec douceur dans la paix de la bonne mort. Voir le fac-similé de l’Ars moriendi, par Pifteau, Paris, s. d.
  2. Les Simulachres et istoriées faces de la Mort, Lyon, 1538. Cf. Gœtte, Holbeins Totentanz und seine Vorbilder, Strasbourg, 1897. L’original d’Holbein serait, pour cet auteur, la fresque du Klingenthal. M. Mâle, au contraire, reconnaît dans ce chef-d’œuvre l’influence des illustrations du vieux poème, le Mors de la pomme. C’est sous cette forme que la Danse macabre