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vêtement : il apparaît nu, crucifié, portant sur tout son corps des traces de souffrances[1].

Sans doute, l’art du xiiie siècle l’emporte sur celui du xve en noblesse idéale. Peut-être y a-t-il, entre le Beau et ce qui s’appelle expression, une contradiction impossible à réduire. Peut-être la Vierge de pitié est-elle à la Panagia byzantine ou à la Vierge gothique, ce que l’école de Pergame et l’art du Laocoon sont au siècle de Périclès et à l’art de Phidias. « Le classique, c’est la santé ; le romantisme, la maladie », disait l’homme de Weimar. Je le sais : le grand art supprime la douleur et lui interdit son domaine. Pour lui, l’épreuve est une tare. Le sculpteur athénien, ayant à représenter le deuil d’Agamemnon, jeta un voile sur la tête. Comprenons cette pudeur ! Admirons l’Olympien dont l’ « empire n’est pas de ce monde », et qui plane en vainqueur au-dessus de la vie dans une région inaccessible à nos faiblesses !

Et pourtant une philosophie, une religion, un art qui ignorent la douleur, ne peuvent se flatter de savoir le dernier mot des choses. La souffrance est le tissu même de l’existence ; elle est la condition des tristes créatures. Le problème du mal est le problème unique, celui qui revient, sous toutes les formes, de toutes les faces de l’univers. Aucun effort n’a réussi à le résoudre ni à le déplacer. Le mystère éternel nous tourmente comme au premier jour. « Humain, trop humain ! » dira-t-on d’un art fait de sanglots. Mais on pourra toujours répondre : « Gloire, héroïsme, — beaux mensonges ! C’est la joie qui en ce monde est une illusion. Plus que le vain mirage du bonheur et de la beauté, croyons-en le génie fraternel qui nous dit :

J’aime la majesté des souffrances humaines.
  1. Renan, Hist. Littér. de la France, t. XXIV, p. 710. Cf. Didron, loc. cit., p. 303, 310.