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cifixion, s’intercalait une scène muette : les bourreaux procédaient aux préparatifs du supplice. Armés de vilebrequins, ils percent dans le bois la place où doivent entrer les clous. Pendant ces quelques secondes, le Christ à bout de forces, épuisé, atterré, attend. Minute tragique ! La victime a déjà subi tous les outrages ; elle a souffert les coups, les soufflets, les insultes, les crachats ; on l’a déchirée à coups de fouet, bafouée, meurtrie de toutes manières ; il lui reste à gravir le suprême échelon : avant de le franchir, on lui laisse le temps d’en savourer l’angoisse et de mesurer, avec stupeur et dans une sorte d’accablement, la sauvagerie de l’homme.

L’autre scène, plus poignante encore, se place tout de suite après la croix, comme l’autre aussitôt avant. Je vous ai montré, à Padoue, dans la fresque de Giotto, l’étonnante nouveauté de la Déposition ou de la Lamentation au pied de la croix. Vous rappelez-vous la grâce de cette forme adolescente, couchée, longue, souple, fine et noble dans la mort comme une jeune tige qui vient d’être coupée, abandonnée et comme flottante sur les genoux et dans les mains des femmes, couverte par elles de baisers et de saintes caresses ? Vous rappelez-vous le geste désespéré de Jean, ses bras violemment écartés, et le sourd vocero que la Madeleine rampante exhale sur le cadavre ? Je ne sais si les choses pourraient être plus belles. Rien n’évoque mieux dans aucun art cette excitation douloureuse, ce concert de regrets et de gémissements qui éclatent autour d’un être que nous pleurons. On ne sera pas plus grand artiste, plus poète que Giotto ne l’est dans cette page. Mais il y a moyen d’être plus pathétique.

Quel est le maitre inconnu qui a inventé le groupe

    celui du salut. Cf. le Breviarius de Hierosolyma (vers 570) dans les Itinera Hierosolymitana, édit. Tobler et Molinier, Genève, 1880, p. 57-58.