Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces pieux ascètes, leur rêve passionné de ressusciter en eux-mêmes dans le moindre détail la vie évangélique, s’est trouvé de connivence avec le goût du temps pour les représentations scéniques et pour la réalisation visible et concrète des choses. Jusqu’à ce point, les deux tendances s’unissent et se confondent. Mais le naturalisme chrétien n’est pas son objet à lui-même : l’imitation du réel n’est pour lui qu’un moyen, une condition de l’émotion ; elle demeure subordonnée à la recherche du pathétique. De là découlent deux ou trois observations intéressantes.

La première est qu’on voit, au moins partiellement, disparaître le sens du récit. Les artistes d’alors racontent peu. Sans doute, il n’y a là aucune règle absolue ; on trouverait cent exceptions. On continue (surtout dans le Nord) à peindre nombre de Passions : telles sont celles de Schongauer chez les Jacobins de Colmar[1], et du frère Henri de Duderstadt chez les Cordeliers de Gœttingue[2]. Tels sont surtout ces grands retables taillés et fouillés dans le bois, les Calvaires ou les Noëls de l’Allemagne ou du Tyrol, pareils à de grandes armoires à jouets de Nuremberg, et donnant la vive impression de ce que pouvait être le spectacle d’un Mystère.

Là n’est pas toutefois ce que le xve siècle a produit de plus original. Nous avons vu, en décrivant les fresques de l’Arena, selon quel procédé l’artiste enrichit et féconde son sujet, comment il décompose l’action, l’analyse la

    que le passage en question des Meditationes (Prologue dans le ciel : le procès de Justice et de Miséricorde) est lui-même emprunté à un des plus magnifiques sermons de saint Bernard. Ainsi, c’est un ouvrage populaire et de seconde main qui a fait la fortune d’une des plus belles imaginations du grand docteur.

  1. Peinte vers 1475. Aujourd’hui au musée. Cf. Girodie. Martin Schongauer, 1911, p. 120 et suiv.
  2. Musée de Hanovre. Cf. Lemmens, Niedersächsische franziskanerklöster im Mittelalter, Hildesheim, 1896, p. 40