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sonnage, identifié chaque épisode, il restera encore une question essentielle. Prenez par exemple, entre mille, un tableau comme la Nativité de Frà Filippo Lippi au Louvre[1] : combien de traits ici dont le théâtre ne rend pas compte ! Voyez le paysage, si manifestement réel ; admirez la minutieuse et l’édifiante imitation d’un vieux mur, d’une touffe d’herbe, d’un troupeau de moutons, ces études merveilleusement poussées et attentives d’une paire de lézards et d’un chardonneret ; considérez cette surprenante collection de faits, ce fourmillement de choses : est-ce qu’il n’y a pas là, dans cette sylva rerum et dans le souffle qui l’anime, un scrupule, un amour, un zèle de la réalité, qui excèdent et débordent tout ce qu’on est en droit d’attendre du théâtre ? Je ne dirai pas avec Millet, l’auteur de l’Angélus : « Si vous voulez faire de l’art juste et naturel, fuyez le théâtre ![2] » Mais je crois qu’on peut dire : le théâtre du xve siècle n’a eu d’action sur l’art que dans la mesure où tous deux obéissent à une loi générale qui les pousse, chacun dans leur sphère, à un progrès croissant de vie et de naturalisme.

Brunetière écrit qu’il existe une esthétique protestante, et que cette esthétique est le naturalisme[3]. Mais le mot de naturalisme désigne à l’origine un atelier romain, et n’implique nulle adhésion à la confession d’Augsbourg. Il y a une façon idéaliste de traiter les sujets religieux, c’est celle du xiiie siècle ; il y en a une autre, qui est celle xve et la seconde n’est pas moins « catholique » que la première. C’est celle qui insiste sur les côtés humains de l’Évangile, qui en développe de préférence les aspects

  1. Attribuée aujourd’hui à Frà Diamante. Venturi, Storia, t. VII, p. 579, Mendelsohn, Fra Filippo Lippi, Berlin, 1909, p. 204.
  2. A. Sensier. La vie et l’œuvre de J.-F. Millet, 1881, p. 54.
  3. Le Roman naturaliste, 1884, p. 273.