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II


Il y a cinq ou six ans, M. Emile Mâle, dans une série de ces articles qui renouvellent une question[1], a fait voir que l’art du xve siècle (qui marque un pas si décisif sur celui du siècle précédent), est redevable de ce progrès à l’influence du théâtre, et que la plupart des nouveautés qu’on y remarque sont un reflet de l’art des « Mystères ».

Je ne vous apprendrai pas ce que sont les « Mystères », ces vastes représentations qui duraient huit jours, quinze jours, embrassaient des myriades de vers, des centaines de personnages, développaient toute l’histoire sainte depuis la chute des Anges jusqu’au Jugement dernier, et attiraient dans une ville, comme pour une sorte de trêve ou de vacances, la population entière d’une province. Oberammergau n’en offre plus de nos jours qu’une pâle copie. Ce fut là le véritable théâtre populaire, un théâtre qui mettait en scène le plus grand drame du monde, qui faisait mouvoir comme acteurs tout le personnel de l’Ancien et du Nouveau Testament, toutes les figures sculptées au porche des cathédrales, — un théâtre où toutes les idées familières prenaient vie, où s’incarnait la lutte éternelle du bien et du mal, où s’agitaient les hautes questions de la conscience morale, et qui se terminait toujours à la satisfaction de tous par la victoire finale et le règne de Dieu.

Un tel théâtre était le vrai miroir du monde, la Divine Comédie vivante et agissante. Chacun y jouait son rôle, le roi et le manant, le bourgeois et le publicain, le men-

  1. Le Renouvellement de l’Art par les Mystères, Gazette des Beaux-Arts. février-mai 1906. Cf. L’Art relig. en France à la fin du moyen âge, ch. I.