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procède d’une source unique : la recherche, la poursuite passionnées de l’expression. Jamais art n’a été à ce point l’image de la foule ; jamais le peuple n’a davantage imprimé à l’œuvre de ses mains le sentiment profond qui anime son cœur obscur. On dirait qu’il n’y a plus de place dans l’Église que pour l’agenouillement des humbles et de ceux qui leur ressemblent. Que voulez-vous qu’elles demandent, ces ouailles confuses et ignorantes, à la Vierge de pierre qui domine l’autel, aux apparitions radieuses qui s’irisent sur les verrières, au Christ mort que des porteurs navrés couchent au tombeau dans l’enfeu ? Rappelez-vous les vers de la Ballade à la Vierge que Villon écrivit à la requête de sa mère :

Femme je suis povrette et ancienne,
Ne rien ne sais, oncques lettre ne lus.
Au moutier vois, dont suis paroissienne,
Paradis peint où sont harpes et luths,
Et un enfer ou damnés sont boullus.
L’un me fait peur, l’autre joie et liesse…

Joie, peur, — disons encore affection, tendresse, larmes surtout, larmes d’amour, d’extase ou de pitié, voilà tout l’idéal artistique du xve siècle. Je n’en sais pas de plus touchant. Cet art sort tout entier, non de l’intelligence, mais des trésors sans fond et de l’écrin du cœur. C’est son charme. Et pourtant ! À subordonner l’art sans réserves au sentiment, ne risquait-on pas de méconnaître quelques-unes de ses lois ? Ne courait-on pas aux excès, aux abus, aux désordres d’une école qui n’obéit qu’aux impulsions de l’émotivité ? Ne devait-il pas arriver un moment où elle s’arrêterait épuisée, incapable de tirer