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dans la vision d’un roman de chevalerie. Bruit, cris, gaîté, fanfares. On jase, on rit, on cause d’amour. Tout à coup les chevaux renâclent et reculent. Désordre, remous dans le cortège. La troupe vient de donner sur trois cercueils ouverts. L’un contient un squelette, l’autre un cadavre déjà vert, le troisième, le plus hideux, un mort plus frais, tout bouillonnant de l’affreux travail de la dissolution. Il grouille et se soulève de vers et de reptiles. Le roi se bouche le nez. Un cheval renifle bruyamment et, le col allongé, semble hennir à la mort. Les dames, les cavaliers consternés se regardent. Mais voici qu’apparaît un ermite chenu, qui tend un parchemin sur lequel se lit en vers la moralité de la légende. Adieu aux voluptés du monde, aux plaisirs de la chair, du luxe et de la gloire, délices de la vie cachée, idylles de la solitude, merveilles mystiques du désert, voilà ce que dit l’ermite[1]. On reconnaît dans cette composition le « Dit » ou la légende des Trois morts et des trois vifs[2]. Et voici où commence le Triomphe de la mort.

  1. Toutes les inscriptions et les didascalies, déjà indéchiffrables au temps de Vasari, qui commentaient et expliquaient ces fresques pathétiques, ont été publiées par M. Morpurgo d’après un manuscrit de la bibliothèque de saint Marc : Le epigrafi volgari in rima del Trionfo della Morte… nel camposanto di Pisa, dans L’Arte, 1899.
  2. Il existe de ce petit poème, dont on trouve déjà l’ébauche, au xiie siècle, dans la Deploratio pro morte de Walter Mapes, quatre textes du xiiie siècle qui ne diffèrent entre eux que par des détails insignifiants. Deux de ces textes sont anonymes, les deux autres sont de Beaudoin de Condé et de Nicole de Margival. Tous quatre ont été publiés par Anatole de Montaiglon, Alphabet de la Mort de Hans Holbein, 1856. Il n’y est question que de trois jeunes gens devant qui se dressent les trois fantômes. — Une version postérieure, plus longue, plus dramatique et plus développée, a été imprimée à la suite de la Danse macabre de Guyol Marchand. (Reproduite dans Leroulx de Lincy, Paris et ses historiens au xive siècle, 1867.) Les trois jeunes gens sont devenus trois cavaliers, le paysage se précise, et l’ermite apparaît. Toute la moralité est donnée comme une vision. On ignore la date de ce remaniement. Mais c’est sous cette forme que le « Dit » a fait fortune, et qu’il a été illustré par le peintre du Campo-Santo. Cf Mâle, L’Art relig. à la fin du moyen âge, p. 383 et suiv. ; Longpérier, Le dit des trois morts et des trois vifs, Rev. Archéologique, 1845 ; Kùnstle, Die Legende der drei Lebenden und der drei Toten…, Fribourg, 1908, p. 30 et suiv.