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velles étranges passionnaient. On en faisait un sujet de drames. Du vivant de Giotto, une représentation de l’Enfer fut donnée sur l’Arno. La presse était telle, que le pont s’affaissa sous les spectateurs. Plus d’un, du spectacle de l’Enfer, passa à la réalité[1].

Les Enfers italiens, celui de Giotto à Padoue ou celui du Campo-Santo, sont médiocres. L’imagination italienne croit nous épouvanter par le détail des supplices : elle n’arrive qu’à faire sourire. Le fond de l’affaire, c’est toujours une grande rôtisserie ; des diables armés de fourches et de lèchefrites tisonnent, rissolent des damnés qu’ils apportent à une sorte de monstrueux Moloch, velu et accroupi, ayant au bas du ventre un masque dégoûtant, et vomissant par cette gueule les malheureux qu’il engouffre par son orifice supérieur. Un poème du franciscain Jacomino de Vérone décrit cette cuisine avec verve.

  1. En 1304, Villani, l. VIII, chap. lxx. Pucci, dans son Centiloquio, a spirituellement rimé le récit de Villani. On sent dans ses vers l’ironie, le léger sourire florentins, « Or, dit-il, vous verrez beau jeu, et si c’étaient des bêtes qui avaient fait les choses. » Suit la description des diables, des chaudières, des grils, des supplices horrifiques. Mais il n’en est pas dupe.

    Ma chi aveva d’uom conoscimento,
    La verità del fatto conoscea.
    L’anime ch’eran poste a tal tormento
    Eran camicie di paglia riplene
    E vesciche di bue piene di vento.

    Une représentation semblable fut donnée en 1313 à la cour de France, à l’occasion de l’« adoubement» des fils de Philippe le Bel. Il y avait un Paradis de quatre-vingt-dix Anges, et un Enfer « noir et puant ». D’Ancona, Origini, t. I, p. 94.

    Mais, en dépit de ces mascarades, les choses ne perdent pas leur caractère sérieux. D’Ancona (ibid., p. 118) cite ce curieux fragment du Voyage en Terre Sainte de Frà Ricordo : ces pensées de la vallée de Josaphat, forment une vraie « répétition» du Jugement dernier. « C’est là, pensions-nous, qu’aura lieu le Jugement et nous nous assîmes, à mi-chemin entre le Calvaire et le mont des Oliviers, pleurant et tremblant de peur, comme si déjà nous sentions ce Jugement sur nos têtes. Et dans ce tremblement nous cherchions en nous-mêmes et nous demandions l’un à l’autre en quel endroit se tiendrait le Souverain Juge ; nous nous orientâmes pour trouver où serait sa droite et où serait sa gauche ; après quoi nous choisîmes notre place à la droite, et chacun de nous y roula une pierre pour retenir la sienne.» Viaggio di Terra Santa, Sienne, 1864, p. 19.