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un système de « figures », au nombre de trois, en l’honneur de la sainte Trinité. C’est ainsi qu’à la scène du Christ injurié correspondent les histoires de Hur conspué par les Juifs, de Noé raillé par son fils et de Samson bafoué par les Philistins. Des prodiges d’imagination symbolique permettent seuls, on le conçoit, de tels rapprochements. Il y en a de délicieux. Sait-on pourquoi Tubalcaïn. « père des forgerons », est comparable au Christ ? C’est que, comme le premier en battant deux enclumes fit naître la musique, de même Jésus expirant exhala ce chant du cygne, ce divin soupir de l’amour et de la pitié : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ».

Il va sans dire que pour tenir la gageure impossible de ses trois figures par fait, l’auteur est obligé de battre les buissons ; il puise à pleines mains dans l’histoire profane et dans la littérature fabuleuse des Bestiaires. Oserai-je confesser que je ne le lui reproche pas ? Je ne suis pas de ceux qui rougissent des excès de zèle du symbolisme, et n’y voient que les laissés pour compte du délire scolastique. Il ne faudrait pas trop me presser pour me faire dire que j’y aperçois une des plus belles vues historiques. C’est Auguste Comte qui montre qu’en dépit de Voltaire, le Discours sur l’Histoire universelle demeure la première des philosophies de l’histoire, et qu’une telle création ne pouvait naître qu’au sein de l’Église catholique[1]. La méditation assidue des deux Testaments, c’est-à-dire l’histoire conçue comme un développement unique, une série homogène, comme un vaste « discours » mû par une idée directrice ; cette pensée d’un fieri, d’un devenir qui s’élabore, d’un thème qui s’ébauche et peu à peu se réalise, d’une loi intérieure guidant mystérieusement les faits, voilà ce que je trouve

  1. Cours de Philosophie positive, LIIe leçon, t. V, 1841, p. 6.