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deur de la vérité. Cependant, sur une ligne supérieure, dans une autre partie du paysage, le Prêcheur apparaît dans une nouvelle fonction de son ministère : il dénonce les folies et les passions du monde, recueille doucement les âmes désenchantées du siècle, absout le pénitent qui se détache des vanités, et enfin, passant de l’Église militante à l’Église triomphante, introduit les chrétiens par la porte du Paradis, où les élus se mêlent aux concerts des anges et chantent l’hosannah.

Voilà, sous sa double forme, idéale et appliquée, cette apothéose magnifique de l’ordre dominicain, l’un des plus remarquables spécimens qu’il y ait en Italie de la peinture d’idées. Et pourtant, le triomphe du genre dura peu. Comme presque toujours, l’art était en retard : il ne glorifie que du passé. Le grand siècle de la scolastique et sa période féconde sont une ère révolue ; des forces invincibles désagrègent l’unité du monde intellectuel : une ère nouvelle s’inaugure. Déjà Pétrarque, Boccace, représentent l’avenir, annoncent l’humanisme ; on commence à deviner les méthodes positives ; mais la cause principale de désorganisation se trouve, pour la philosophie exposée par la première fresque, dans la nécessité qu’exprime la seconde, de s’adapter aux conditions de la réalité. Henri Heine prétend plaisamment que Kant écrivit pour lui-même sa Critique de la raison pure et la Raison pratique pour son valet de chambre. C’est un peu là l’histoire de toutes les philosophies. Saint Thomas continua de régenter l’École. Mais les questions de quolibet, les disputes sur la substance et sur la quiddité, sont un terrain où les profanes n’auraient pas suivi les docteurs. Il fallait en trouver un autre plus populaire. Comment et dans quel sens s’opéra cette substitution, c’est ce que je vais à présent vous dire.