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de dévoûment, de rêve, de divin qui a rempli une existence.

Ces héros sont des types d’une distinction raffinée, d’une parfaite aristocratie. Les artistes devaient les chérir. Pendant trois siècles, peintres, sculpteurs ne firent qu’illustrer de toutes les manières la Légende dorée. Ainsi, ceux qui ne pouvaient la lire la voyaient en images. Presque toutes les fois qu’un détail de quelque tableau paraît inexplicable, ouvrez la Légende dorée, vous y trouverez le mot de la difficulté[1]. C’est faute de l’avoir assez lue, que nous sommes dans l’embarras devant les vieux chefs-d’œuvre. Ce moine mendiant fut l’Homère du monde chrétien. Pour l’art, les conséquences s’énoncent d’elles-mêmes : c’est tout un contingent de biographies nouvelles qui entrent en scène avec leurs incidents, leurs épisodes, leur foule, leur décor, en un mot leur immense apport de vie, de pittoresque, de couleur et de réalité. Cette masse d’histoire vient s’ajouter au répertoire des grandes vies contemporaines. Une fois de plus, le présent a éclairé le passé, et a ressuscité, rendu, mêlé à l’existence le peuple des ombres d’autrefois.

Mais, mieux encore que des « histoires », ce que la Légende dorée nous valut de plus beau, ce sont ces assemblées de personnages célestes, rangés aux pieds de la Madone sous quelque beau portique ou devant quelque noble jardin du Paradis. L’art ici ne consiste plus qu’à perfectionner quelques types exquis, à créer par des

  1. Cf. T. de Wyzewa, Maîtres italiens d’autrefois : Frà Angelico et la Légende dorée, Paris, 1907. — La Légende remplaça très vite toutes les autres sources, même lorsqu’il s’agit de saints modernes et dont il existait des Vies contemporaines. Ainsi, l’Histoire de sainte Elisabeth de Hongrie, au couvent de Donna Regina, a été peinte, non d’après le Dit des quatre ancelles ou le mémoire de son confesseur, si faciles à se procurer dans une maison de Clarisses, mais — on le voit à quelques détails — d’après Jacques de Voragine. Cf. Bertaux, Santa Maria di Donna Regina, Naples, 1899.