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fication et l’espèce de fantasmagorie philologique dont nous bernait naguère encore, au temps de Max Müller, la prétendue science des langues comparées ?

Les protestants, d’autre part, enragés contre le culte des saints, ne devaient pas épargner l’œuvre du vieux Prêcheur. Et les catholiques, intimidés par les iconoclastes, n’osaient plus prendre la défense d’un auteur trop évidemment dépourvu de critique[1]. L’Église, au XVIe siècle, surprise par une affreuse bourrasque, est contrainte de jeter du lest : elle débarque l’hagiographe compromettant. Les hommes de l’époque ne cachent pas leur mépris pour lui. Ils s’oublient jusqu’au calembour, comme ce savant cardinal, dont on sait le mot injurieux en parlant de notre Légende : « D’or ? Jamais de la vie, mais plutôt de plomb et de ferraille ! » Et que pouvait penser du digne évêque de Gênes ce M. de Launoi, « le dénicheur de saints », — ainsi nommé pour en avoir « descendu » à lui seul plus que huit papes n’en avaient canonisé ? Que pouvait-il penser d’un homme qui croit à saint Eustache, à sainte Thaïs, aux Onze Mille vierges, et qui termine ainsi sa Légende des Sept Dormants :

L’histoire veut que leur sommeil ait duré trois cent soixante-douze ans. Mais la chose est douteuse, car c’est en 448 qu’ils ressuscitèrent, et Décius régna l’an 252 : de

  1. On ne saurait d’ailleurs trop louer la charmante loyauté de Jacques de Voragine. Il ne fait, au surplus, que rapporter ce que lui fournissent ses documents, et toujours, on l’a vu, en indiquant ses « sources » : de sorte que non seulement presque toutes les fables qu’on l’accuse d’avoir introduites ne sont pas de lui, mais encore il ne les donne que sous toutes réserves. Le témoignage, en ce sens, vaut ce que vaut le témoin. Loin d’ajouter au « merveilleux » de ses auteurs, Jacques en écarte, au contraire, tout ce qui lui semble luxe inutile. Voir, par exemple, ses doutes sur les reliques des Saints Innocents, sa critique des légendes de Judas, de Néron. Que si on lui reproche de croire au « surnaturel », c’est une autre question. Il est certain que Jacques n’était pas un « chrétien honteux ». L’espèce n’en était pas encore inventée. Cf. la préface de Bolland aux Acta Sanctorum. p. XIX, § IV, et l’étude pénétrante de M. de Wyzewa, en tête de sa traduction de la Légende dorée, Paris, 1902.