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fait le charme de son livre et sa valeur profonde. Il n’a pas l’air de soupçonner ce que ce simple énoncé, une collection de vies de saints, suivant l’ordre du calendrier, — du premier dimanche de l’Avent à la fête de la Toussaint, — comprenait de neuf comme donnée et de fécond comme programme. C’était, dégagé des entraves de la chronologie, débarrassée du ciment, du lourd mortier des faits, une galerie des héros de la vie spirituelle, un panthéon incomparable de la noblesse humaine. Il n’est pas jusqu’à l’apparent décousu de la composition qui ne permît un art d’autant plus délicat qu’il se dissimule davantage : on passe d’un évêque à une vierge, d’un soldat à une religieuse, d’un roi à un anachorète. Pas une de ces figures qui ne soit choisie à dessein afin d’en compléter une autre, d’éclairer une face nouvelle de la vie idéale. Rien de plus harmonieux, de plus souple et de plus divers que le plan primitif. Le succès de l’ouvrage en a seul compromis l’originale beauté. Les anciens manuscrits de la Légende dorée contiennent en moyenne cent quatre-vingts chapitres ; certaines éditions de la fin du XVe siècle en comprennent jusqu’à cinq cents.

Aucun livre, en effet, sans excepter la Bible, ne fut, pendant le même temps, aussi souvent copié, traduit, réimprimé. Dans les trente premières années de l’imprimerie, on en compte près de cent éditions différentes, sans parler des versions qui s’en firent dans toutes les langues. On sait que par la suite il n’y en eut pas de plus décrié. Les humanistes avaient beau jeu de railler son méchant latin, et de tourner en ridicule les étymologies bizarres et saugrenues [Sénèque de se necans — mon Dieu ! oui) que, par un scrupule touchant, le bon dominicain se croit obligé de servir en tête de chaque récit. Mais avons-nous le droit de faire les difficiles, après la mysti-