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III


Jamais l’injustice qu’on ferait en séparant les deux grands ordres mendiants, n’apparaît plus criante que dans le cas du second livre dont il me reste à vous parler, la Légende dorée de l’évêque dominicain, Jacques de Voragine. Cette faute nous conduirait à supprimer de notre étude un produit adorable de la pensée du moyen âge, un des livres les plus imprégnés du vrai parfum évangélique, et qui exerça, pendant plus de trois cents ans, l’action la plus bienfaisante sur l’âme de toute l’Europe, sur l’art et sur la poésie.

On ne sait guère de l’auteur que ce qu’il nous apprend lui-même[1] Il était né à Varazzo, bourg de la côte ligure, entre Gènes et Savone. Il était tout enfant quand eut lieu la fameuse éclipse de 1241 : il conservait au fond des yeux cette vision de nuit infinie, d’étoiles qui ne quittaient plus l’azur. À l’âge ordinaire, c’est-à-dire à quinze ou seize ans, il fit profession dans l’ordre des Prêcheurs ; il enseigna la théologie, écrivit, prêcha, fut

    ne chôme jamais, vous le savez ; c’est elle qui fait la cuisine de son fils et de son mari : elle fait enfin tout ce qu’il faut, n’ayant personne pour la servir… Et Jésus, n’aide-t-il pas la Vierge à dresser le pauvre couvert, à faire les lits et le ménage ? Voyez-le s’acquitter de cet humble service, ainsi que Notre-Dame. Et voyez-les tous trois manger, une fois le jour, autour de leur méchante table, servie non d’aliments délicats et exquis, mais de choses viles et grossières. » (Ch. xv.)

    N’y a-t-il pas là comme une affection et une cordialité nouvelles, une sorte de réalisme suave et de terre-à-terre ingénu, et ce qu’on est convenu d’appeler le sentiment « hollandais » ? N’est-il pas curieux de voir chez ce cordelier du xiiie ou du xive siècle, l’esquisse de la Famille du menuisier ? Que n’a-t-on pas dit sur ce tableau et son caractère « protestant », faute d’en connaître les origines, telles que la gravure de Dürer dans sa Vie de la Vierge ou le célèbre triptyque du Maître de Flémalle, qui dérivent, directement ou indirectement, des Méditations de l’auteur franciscain ? Voir plus loin, sur Rembrandt, la Xe leçon.

  1. Cf. Quétif et Echard, Scriptores Ordinis Praedicatorum. 1719, t. I, p. 454.