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firent guère que suivre en tout ceci, et que je prendrai à mon tour pour guides de cette Leçon : les Méditations sur la vie de Jésus-Christ, souvent attribuées à saint Bonaventure, et la Légende dorée de Jacques de Voragine. Je tâcherai de vous faire voir quelle somme d’inédit fut alors introduite dans la peinture des choses. Mais je ne puis être tout à fait clair qu’en vous rappelant d’abord de quel état moral naquit cette vision nouvelle.


I


On rencontre parfois une vieille peinture saisissante : on voit le Christ chargé de sa croix, et derrière lui une multitude qui l’accompagne et cherche à le soulager. Dans un tableau du musée de Parme, c’est une cohue de fidèles, une forêt de croix. Ailleurs, toute l’humanité, pape, rois, hommes, femmes, s’attelle à la cruelle poutre dont l’équerre repose sur l’épaule de Jésus. Le plus émouvant de ces tableaux est celui de Barna, où le divin condamné passe, pliant sous le faix, avec une indicible angoisse, tandis qu’un frère Prêcheur à genoux tend les bras, s’élance d’un sublime mouvement de pitié. Ce geste, ce désir d’expier, de souffrir cette sympathie pour la douleur, ce fut toute la pensée, tout l’idéal du moyen âge.

François avait trouvé tout formé avant lui ce sentiment singulier ; il en avait été nourri et comme bercé. Les ordres mendiants ne firent qu’endiguer, que canaliser plus ou moins ce profond besoin de larmes. Mais la source mystérieuse avait des crues subites : à tout moment, elle déborde. Je vous ai parlé déjà de la grande flagellation. Je ne refais pas le tableau de cette tourmente sacrée[1].

  1. Un chroniqueur contemporain exprime très bien le caractère anonyme