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sincérité. Qu’importe que Pérugin ait été un athée, si son art réalise une des plus hautes expressions qu’on connaisse du divin ? Qu’importe ce que Giotto, comme bourgeois de Florence, pensait de la pauvreté, s’il était, comme artiste, capable de comprendre saint François mieux que personne ? Et d’ailleurs il se trouve que ce peintre très positif a donné à l’art franciscain et à Italie tout entière, la véritable formule qu’ils attendaient encore.

L’art, avant Giotto, la grande formule byzantine, c’était la mosaïque, c’est-à-dire la décoration sous sa forme la plus hiératique et la plus somptueuse. On se servait aussi de la fresque, mais comme d’un art inférieur, sans existence propre, et qui toujours de près ou de loin imitait l’art rival. Et cet art de la mosaïque est vraiment un grand art. Quand on a vu Ravenne, Dafni ou Cefalù, on sait ce qu’a de magique et de vraiment royal cette « peinture pour l’éternité ». Seulement elle a ses lois, qui sont celles de la rigueur et de l’immobilité. Quelque chose d’abrupt, une solennelle torpeur, un aspect de somnambulisme et d’inertie sublimes, frappe les créatures de ce monde surhumain qui flotte là-haut sur les coupoles, dans l’éclat fixe de ses pierreries et de ses pâtes vitrifiées, avec un air d’apparition ou de fantasmagorie.

À ce procédé lent et coûteux, la fresque rapide, à bon marché, substitue des mœurs plus libres et des audaces nouvelles. Les formes se mettent à ondoyer dans des bords moins rigides. Les corps s’assouplissent et respirent. Une troisième dimension, l’espace en profondeur, s’ajoute aux deux premières et accroît l’étendue autour des personnages. L’atmosphère circule et palpite. Délivrée de la gaine d’opulence qui l’opprime, la peinture « pauvre » acquiert une richesse nouvelle ; la matière raréfiée, plus liquide, plus coulante, se prête