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Les critiques exagèrent : nous avons à Florence et à Assise même des traces immortelles du génie de Cimabue. Ce qui demeure acquis, c’est que Florence n’a pas joué, dans les débuts de la Renaissance, le rôle qu’elle a voulu s’adjuger après coup ; ce n’est pas elle qui a donné le branle. Ce n’est pas Sienne non plus, quoi qu’on en ait pu dire. Rome, qu’on oublie toujours, a eu, à cette époque, un moment décisif : c’est de là que part l’impulsion. Cette Rome d’Innocent III, que l’exil d’Avignon devait bientôt anéantir, connut au XIIIe siècle une heure de splendeur. Ce fut là pour l’Église la


    maintenue avec sécurité. Deux choses seulement sont certaines : l’une, qu’il y avait à Rome, en 1272, un Cimabue, peintre de Florence (Cf. Strzygowski, Cimabue und Rom, Vienne, 1888, document tiré des archives de Sainte-Marie-Majeure) ; l’autre, qu’il a fait en 1301, dans l’abside du Dôme de Pise, une mosaïque de saint Jean, restaurée et méconnaissable. Bref, sans deux vers de Dante, qui ont créé toute cette légende, il ne resterait rien du nom de Cimabue : et encore ces vers, selon les critiques radicaux, signifient-ils le contraire de ce qu’on leur fait dire (Cf. Perdrizet, La peinture religieuse en Italie au XIVe siècle, Nancy, 1903, p. 16). Et tout ce bruit s’est fait à cause d’un contresens !…

    Voilà ce que je ne crois pas. Je ne crois pas que tout le monde, depuis plus de six cents ans, se trompe sur le sens d’un vers, et qu’on ait attendu un critique de 1905 pour être fixé sur un passage qui n’offre rien d’obscur. De ce que Duccio est l’auteur de la Madone Rucellai et le héros du triomphe attribué à Cimabue, il ne suit pas que Cimabue n’ait rien fait, ni que nous ne possédions aucune de ses œuvres. Il est vrai que nous n’avons que deux documents qui le concernent : nous n’en avons pas tant sur Phidias et sur Praxitèle, et cependant nous ne doutons pas que nous ne sachions quelque chose de ces deux grands génies. Les chartes ont du bon, mais tout ne se trouve pas dans les chartes ; et toutes les traditions ne sont pas fabuleuses. Il y a, même dans les légendes, une « âme de vérité ». L’histoire ne se passe pas forcément par-devant notaire. Sans doute, on ne peut se flatter de tout connaître du passé : est-ce une raison pour en rejeter presque toutes les sources, et pour n’admettre que ce qu’a pu certifier le greffier ?

    Pour revenir à Cimabue, l’opinion de Venturi paraît être la plus sage. Il y a à Assise, dans le chœur et les transepts de l’église supérieure, des fresques en ruines (le Calvaire, les Actes des apôtres, la Mort de la Vierge, l’Apocalypse), fresques d’une puissance « eschylienne » et d’une grandeur sauvage. Le même caractère, et jusqu’à la même apparence de « négatifs photographiques », se retrouve dans les peintures de la chapelle Saint-Michel, à Santa-Croce de Florence. Ces œuvres ne répondent au style d’aucun des maîtres de ce temps que nous puissions nommer. La tradition les a toujours données à Cimabue. Dante nous affirme que Cimabue était un homme considérable. Tout permet de croire que Cimabue. pictor de