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LE GOÉLAND



Le soleil moribond ensanglantait les flots,
Et le jour endormait ses suprêmes échos.
La brise du Surouet roulait des houles lentes.
Dans mon canot d’écorce aux courbes élégantes,
Que Paul l’Abénaquis habile avait construit,
Je me hâtais vers Tadoussac et vers la nuit.
À grands coups cadencés, mon aviron de frêne
Poussait le « Goéland » vers la rive lointaine ;
Sous mes impulsions rythmiques, il glissait,
Le beau canot léger que doucement berçait
La courbe harmonieuse et lente de la houle.
 
Sur la pourpre du ciel se profilait la « Boule »,
Sphère énorme dans l’onde enfonçant à demi,
Sentinelle qui veille au seuil du gouffre ami
Pour ramener la nef à l’inconnu livrée,
Et du fleuve sans fond marquer de loin l’entrée.
Ô globe ! as-tu surgi du flot mystérieux ?
Ou bien, aux anciens jours, es-tu tombé des cieux,
Comme un monde égaré dans l’orbe planétaire,
Et qui, pris de vertige, aurait frappé la Terre ?

Dans le grand air du large et dans la paix des bois,
Dans les calmes matins et les soirs pleins d’effrois,
Dans la nuit où le cœur abandonné frissonne,
Dans le libre inconnu je fuyais Babylone…
Celle où la pauvreté du juste est un défaut ;
Celle où les écus d’or sauvent de l’échafaud ;
Où maint gredin puissant, respecté par la foule,