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pable de commander à son indignation, il ne put s’empêcher de s’écrier en soupirant : « Que cette place m’est chère ! que celui qui l’occupe m’est odieux. ! » Sa douleur enflamma le ressentiment national des Gépides ; et Cunimund, son dernier fils, échauffé par le vin ou par la tendresse fraternelle, sentit s’allumer dans son cœur le désir de la vengeance. « Les Lombards, dit-il rudement, ont la figure et l’odeur des jumens de nos plaines de Sarmatie. » Allusion grossière aux bandelettes blanches dont leurs jambes étaient enveloppées. « Tu peux ajouter quelque chose à cette ressemblance, s’écria audacieusement un des Lombards, car vous savez comme ils ruent. Va reconnaître la plaine d’Asfeld, cherches-y les ossemens de ton frère, ils s’y trouvent confondus avec ceux des plus vils animaux. » Les Gépides, peuple de guerriers, s’élancèrent de leurs siéges ; l’intrépide Alboin et ses quarante compagnons mirent l’épée à la main. L’intervention du respectable Turisund apaisa le tumulte. Il sauva son honneur et la vie de son hôte ; et après avoir accompli les rites solennels de l’investiture, il le renvoya couvert des armes ensanglantées de son fils, présent d’un père affligé. Alboin revint triomphant ; et les Lombards, en célébrant son incomparable valeur, ne purent refuser des éloges aux vertus d’un ennemi[1]. Il vit

  1. Paul Warnefrid, diacre de Frioul (De gest. Langob., l. I, c. 23, 24). Ses tableaux des mœurs nationales, quoique grossièrement esquissés, sont plus animés et plus fidèles que ceux de Bède ou de saint Grégoire de Tours.