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affamés ne pourront, sans s’avouer à eux-mêmes leur injustice, arracher au chasseur les bêtes de la forêt qu’il a saisies à la course ou vaincues par sa force et son adresse. Si sa vigilante prévoyance conserve et multiplie ces animaux qu’un naturel plus traitable rend capables de se soumettre à une sorte d’éducation, il acquiert à jamais le droit d’employer à son service leur progéniture, qui tire son existence de lui seul. Si pour se nourrir et nourrir ses troupeaux il enferme et cultive un champ, change un terrain stérile en un sol fécond, la semence, l’engrais, le travail créant une nouvelle valeur, les fatigues de toute l’année forment son droit à la moisson. Dans tous les états de la société, le chasseur, le berger et le cultivateur peuvent défendre leur propriété par deux raisons à la force desquelles ne saurait échapper l’esprit de l’homme. Tout ce qu’ils possèdent est le prix de leur industrie ; et quiconque envie leur bonheur est le maître de se procurer les mêmes jouissances par les mêmes soins. Ce qu’on vient de dire convient parfaitement à une petite colonie placée sur une île fertile ; mais lorsque la colonie s’accroît, le terrain n’augmente pas d’étendue : les hommes audacieux et habiles envahissent les droits et l’héritage communs de l’espèce humaine ; des maîtres jaloux posent des bornes sur tous les champs et dans toutes les forêts, et l’on doit louer la jurisprudence romaine d’avoir accordé au premier occupant tout droit sur les bêtes fauves de la terre et des eaux. Dans la marche qui conduit les sociétés hu-