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Le Philosophe. — Mais du moins vos disciples, par leurs talents, leur crédit, leurs dignités, leurs richesses, jetteront un si grand éclat, qu’ils effaceront le Portique et le Lycée, et qu’ils pourront aisément entraîner après eux la multitude ?

Jésus. — Non ; mes envoyés seront des hommes ignorants et pauvres, tirés de la classe du peuple, issue de la nation juive, qu’on sait être méprisée de toutes les autres ; et cependant c’est par eux que je veux triompher des philosophes et des puissances de la terre, comme de la multitude.

Le Philosophe. — Mais il faudrait du moins que vous pussiez compter sur des légions plus invincibles que celles d’Alexandre ou de César, qui portassent devant elles la terreur et l’épouvante, et disposassent les nations entières à tomber à vos pieds ?

Jésus. — Non, rien de tout cela n’entre dans ma pensée. J’entends que mes envoyés soient doux comme des agneaux, qu’ils se laissent égorger par leurs ennemis, et je leur ferais un crime de tirer l’épée pour établir le règne de ma loi.

Le Philosophe. — Mais vous espérez donc que les empereurs, que le sénat, que les magistrats, que les gouverneurs des provinces, favoriseront de tout leur pouvoir votre entreprise ?

Jésus. — Non ; toutes les puissances s’armeront contre moi, mes disciples seront traînés devant les tribunaux ; ils seront liés, persécutés, mis à mort, et, pendant trois siècles entiers, on s’efforcera de noyer dans les flots de sang ma religion et ses sectateurs.

Le Philosophe. — Mais qu’aura-t-elle donc de si attrayant, cette doctrine, pour attirer à elle toute la terre ?

Jésus. — Ma doctrine portera sur des mystères incompréhensibles. La morale en sera plus pure que celle qu’on a enseignée jusqu’ici ; mes disciples publieront de moi que je suis né dans une crèche, que j’ai mené une vie de pauvreté et de souffrances, et ils pourront ajouter que j’aurai expiré sur une croix, car c’est par ce genre de supplice que je dois mourir. Tout cela sera hautement publié, tout sera cru parmi les hommes, et c’est moi, qui vous parle, que la terre doit adorer un jour.

Le Philosophe, avec un ton de pitié. — C’est-à-dire que vous prétendez éclairer les sages par des ignorants, vaincre les puissances par des hommes faibles, attirer la multitude en combattant ses vices, vous faire des disciples en leur promettant des souffrances, du mépris, des opprobres et la mort ; détrôner tous les dieux de l’Olympe, pour vous faire adorer à leur place, vous qui devez être, dites-vous, attaché à une croix comme un malfaiteur et le plus vil des scélérats. Allez, votre projet n’est qu’une fo-